Carmen couleur locale

Dehors, c’est l’hiver. La neige tombe en abondance autour du Palais Opéra et, pour y arriver, on suit prudemment les minces traces dégagées sur les routes. Dedans, c’est l’été.

Nicolas Blanmont
Carmen couleur locale

Dehors, c’est l’hiver. La neige tombe en abondance autour du Palais Opéra et, pour y arriver, on suit prudemment les minces traces dégagées sur les routes. Dedans, c’est l’été. Chaleur confortable et quasi-torpeur des canons à air chaud et, sur la scène, une Espagne de carte postale : si la place de Séville - premier et quatrième acte - peut encore séduire avec ses tons sable, ses ruelles et ses tours et clochers, les montagnes du troisième (avec garde-corps !) frisent le kitsch et la taverne de Lilas Pastia au deuxième y tombe carrément. Extérieur et intérieur, les deux univers ont pourtant plus en commun qu’on ne pourrait le croire : ici aussi, on suit prudemment des rails pour ne pas prendre de risques. Cette "Carmen" ne surprend pas un instant : elle se contente de raconter l’histoire au premier degré sans même chercher à s’interroger véritablement sur la psychologie des personnages. Pas de concept, pas de détournement, pas de contresens ? Même les tenants d’un style théâtral traditionnel regretteront ici l’absence de direction d’acteurs, chaque chanteur semblant se cantonner aux gestes convenus, avec, à la clé, l’écueil de la vulgarité pour des numéros de séduction trop ostensibles. Certes, les quatre couples de danseurs espagnols - "Les tringles des sistres" au quatrième acte - donnent à la mise en scène d’Emilio Sagi (La Libre du 18 décembre) un incontestable brevet de couleur locale, mais l’authenticité du cadre ne suffit pas à donner la vérité du drame.

Dans la fosse, Massimo Donadello joue la même prudence. Tout Bizet, rien que Bizet ? Toute la musique espagnole de Bizet, sans doute, avec ses percussions clinquantes, mais pas grand-chose de cette légère distance qu’on peut y trouver. On admire l’efficacité du jeune chef italien, et l’Orchestre de l’ORW livre une belle prestation, tout comme les chœurs et la maîtrise de la maison, excellemment préparés par Marcel Seminara. L’ivresse est-elle dans les voix ? On ne peut témoigner ici que de la distribution entendue samedi lors de la première, plutôt décevante pour les premiers rôles. Stephen Gaertner est un Escamillo assez ordinaire, avec une diction française assez perfectible. Défaut partagé par la Carmen de Carla Dirlikov, qu’on avait gardée en mémoire comme une belle Eboli, mais qui manque ici de projection et de flamme véritable. Un peu terne aussi, le José bien chanté et déjà plus compréhensible de Colin Bratescu. Les bonnes surprises du plateau viennent des seconds rôles - souvent francophones, et cela fait vite la différence : le Zuniga de Jacques Calatayud, les excellents régionaux de l’étape (Roger Joakim en Morales, Patrick Delcour en Dancaïre, Alexise Yerna en Mercédès - si l’on ose écrire) - auxquels on peut adjoindre l’excellente Suissesse Priscille Laplace (Frasquita) devenue une habituée de la maison. Mention spéciale aussi pour la soprano belge Magali De Prelle, de retour sur la scène de l’ORW après sa récente Pamina : une voix pleine d’une fraîcheur qui sied parfaitement au personnage de Micaela avec, nonobstant des extrêmes aigus un peu trop souvent attaqués par le bas, une vraie puissance, vocale et dramatique.

Liège, Palais Opéra, jusqu’au 31 décembre; diffusion en direct sur dailymotion.com/orw le 21 à 20h.

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