"Orphelins": un thriller psychologique au Poche

Huis clos dramatique, "Orphelins" tient le Poche en haleine.

Laurence Bertels
"Orphelins": un thriller psychologique au Poche

Méfions-nous des petits dîners en amoureux qui commencent trop bien, des événements à fêter trop tôt, du fil des jours trop tranquilles. Dans leur intérieur épuré et déjà bien installés sur leur canapé Ikea, Helen et Danny s’apprêtent à trinquer à l’heureux événement à venir. Petit blanc sec, riz basmati, plateau chic et thaï… Le bonheur.

Surgit alors Liam, le frère d’Helen, le T-shirt maculé de sang. Stupéfaction. Liam, pourtant, reste étrangement calme, ne donne que des bribes d’explication, commente le bon choix du repas, s’excuse d’interrompre un moment si délicieux et invite les tourtereaux à poursuivre.

Malaise

Le malaise est palpable et ira grandissant. D’où vient ce sang ? Un garçon, apparemment, trouvé à terre, tout entaillé, que le frère d’Helen a pris dans ses bras. D’où les taches sur son T-shirt. Taches ? Le mot est faible. Il y a du sang partout et Liam semble plutôt revenir d’un carnage. Le jeune homme ne semble pas vouloir s’étendre sur la question et l’écriture intéressante, tout en retenue et discontinuité, du grand dramaturge britannique Dennis Kelly, se fait entendre, séduit par sa musique particulière. Les questions changent de ton et celui, peu à peu, de l’interrogatoire s’impose. Les failles apparaissent rapidement dans ce thriller psychologique finement construit. L’on comprend peu à peu qu’Helen et Danny vivent dans un quartier défavorisé et de plus en plus ressenti comme dangereux. Le frère, d’ailleurs, les invite à déménager le plus rapidement possible. Quant à l’amour d’Helen et Danny, il semble plus fragile qu’en apparence. Entre son frère et le père de ses enfants, Helen a fait un choix inconscient depuis longtemps. Le passé, pourtant, aurait dû lui donner les clés.

Huis-clos dramatique et contemporain, "Orphelins", comme le sont les frère et sœur de la pièce actuellement à l’affiche du Poche dans une mise en scène de Patrice Mincke, un artiste souvent juste et fidèle à son propre langage, pose la question de la tolérance, de l’opportunisme, du parti pris et de la faiblesse de caractère. Ne rien faire, telle est vite l’option rêvée pour Helen prête à défendre son frère aveuglément. La force d’"Orphelins" réside certes dans la trame serrée du texte, et dans sa profondeur psychologique, sa fine étude des comportements humains et cette évolution de la pensée qui rappelle l’expérience de Milgram, implacable démonstration de la soumission à l’autorité et de la cruauté humaine, où des individus sont appelés à envoyer des décharges électriques à un tiers en dépit de leurs convictions personnelles. Aux mots choisis de Dennis Kelly vient se greffer une interprétation presque sans faille d’Anne-Pascale Clairembourg dont le jeu nuancé gagne en crédibilité au fil d’une partition pourtant difficile. Avec ses airs d’Isabelle Carré et d’actrice légèrement névrosée, à la manière des chères héroïnes de Woody Allen, elle n’en fait point trop et convainc du début à la fin. Elle est en quelque sorte le personnage central de la pièce auquel Pierre Lognay, l’élément perturbateur, attendrissant, troublant puis révoltant, et Itsik Elbaz, un pâle type sans ressort jusqu’à ce qu’il surprenne lui aussi, perdu par son amour pour Helen, donnent une réplique adéquate. Le premier ne surjoue jamais non plus et incarne très à-propos la complexité de son personnage. Le deuxième s’impose aisément malgré le costume de mari faiblard qui lui a été taillé. Un trio de choc donc pour un spectacle tendu de bout en bout. Mais, finalement, c’est à qui tout ce sang ?

Bruxelles, jusqu’au 19 octobre au Théâtre de Poche, à 20h30. Infos : 02.649.17.27 ou www.poche.be

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