Deux façons de tourner en rond

Soirée composée, avec Julie Bougard et Erika Zueneli.

Critique > Marie Baudet
Deux façons de tourner en rond
©Guillaume Deman

Aux Brigittines, la soirée devait rassembler deux pièces d’une trentaine de minutes chacune. Puis les projets ont évolué jusqu’à faire se succéder, dans la même soirée toujours, un spectacle d’une heure et un autre de cinquante-cinq minutes. Le temps de révéler deux univers. Avec des pertinences et des justesses diverses.
La mort, la poésie, le cauchemar

C’est dans la chapelle que Julie Bougard crée "La Grande Nocturne", solo pour lequel elle s’est entourée d’une solide équipe : Lucas Racasse (conception vidéo), Robin Yerlès (3D), Sam Serruys (musique), Sara Judìce de Menezes (masques), Xavier Lauwers (lumières), Dominique Grosjean (voix), etc.

Noirceur au menu, comme de juste, dans cette pièce que traversent la mort et la poésie - de Fernand Dumont et d’Achille Chavée -, le rêve et le cauchemar, le réel et l’intangible. Julie Bougard (qu’on a pu voir comme interprète chez Joanne Leighton, Thierry Smits, Alain Platel, Sasha Waltz, Nadine Ganase, Thomas Lebrun…) affirme ici une vraie présence, une gestuelle riche et tenue, mais nous paraît avoir manqué d’un regard extérieur ; ce recul qui, au final, aurait permis que le public se sente invité dans cet univers singulier… Quelques belles idées (en tête desquelles les masques tombant l’un après l’autre) souffrent d’une sonorisation à la fois trop présente et jamais claire, de poèmes libertaires que la danseuse et chorégraphe n’arrive qu’à - peut-être - s’approprier, pas à transmettre. Le tout dans une esthétique affirmée, parfois amusante, avec ses squelettes animés en motion capture, mais redondante, illustrative. En un mot autarcique.

Tête à tête

Avec "Tant’amati", Erika Zueneli elle aussi tourne en rond - d’une autre façon. Plutôt en lignes droites, d’ailleurs. Le plateau de la salle Mezzo a les allures d’un intérieur dépouillé, évier, frigo, table, canapé (décor d’Olivier Renouf, également à la régie son et dans le rôle du "regard complice"). Les rideaux de la coulisse et ce qu’ils dévoilent donnent à voir le passage furtif des deux habitants de ce lieu. Un couple, peut-être un ex-couple : deux êtres qui, vivant ensemble, en ont développé un mimétisme chargé à la fois d’habitudes et d’agacements. Peu, très peu de mots sont nécessaires à ces deux-là, dont les corps parlent entre élans et usures. Sans jamais nous dicter leur histoire, les personnages chorégraphiés et interprétés par Erika Zueneli (danseuse, chorégraphe, adepte des décalages) et Sébastien Jacobs (acteur, danseur, metteur en scène, créateur son - qui du reste signe ici une bande-son sur base des compositions de Brigitte Fontaine, et de leur formidable potentiel dramaturgique) semblent inventer le monde ordinaire et farfelu qui les abrite.

L’instant s’étire ou se contracte, les regards s’ignorent ou s’expriment. On y décèle des lassitudes ou de la tendresse, on y palpe le singulier rapport de deux corps familiers à l’espace qu’ils ont forgé et qui les contient. Entre le réel d’une relation et son effacement, entre la comédie domestique et le constat désabusé, un bel exemple de ce que la danse peut raconter sans rien assener.


Bruxelles, Brigittines, encore les 26, 29 et 30 octobre, à 20h30. Durée : 2h15 env., entracte compris. De 8 à 12 €. Infos & rés. : 02.213.86.10, www.brigittines.be

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