La reine Trisha est au Palais
Les "Early Works" de Trisha Brown, dans le hall du PBA à Charleroi, ont enthousiasmé le public. Un beau début pour la Biennale de Charleroi Danses. Quatre autres spectacles, ce week-end, dont un épatant trio de Johanne Saunier et une création de Thomas Hauert.
Publié le 18-11-2013 à 05h39 - Mis à jour le 22-11-2013 à 13h40
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Samedi, il y eut même des spectateurs qui pleuraient, pris par l’émotion. C’était comme si on revoyait l’émergence de toute la danse contemporaine devant nous. Comme si, en peinture, on revoyait Picasso peindre les "Demoiselles d’Avignon". La compagnie américaine Trisha Brown a rejoué deux fois ce week-end les "Early Works" de la grande chorégraphe. On sait que celle-ci, après des attaques cérébrales, ne peut plus créer et s’est retirée. Et ici, on revoyait ses premières créations, datant de 1973, il y a quarante ans et qui n’ont rien perdu de leur fraîcheur et de leur beauté. De petites choses, minimales en apparence seulement.
Les spectateurs sont debout, ou assis par terre, où ils veulent dans le grand hall de marbre du Palais des Beaux-Arts de Charleroi. Habillés totalement de blanc, les danseurs font comme des exercices successifs : tourner autour de longs bâtons tenus en équilibre, danser sur les marches de l’escalier, répéter les mêmes gestes au sol, tout en étant déplacés par d’autres danseurs, se mettre en rang, les yeux fermés, et faire basculer les bras, se mettre à danser l’une après l’autre et mettre la danseuse suivante en mouvement par la pression de son corps ("Spanish Dance", notre illustration ci-contre).
Des mini-chorégraphies qui demandent une précision absolue et une technique millimétrique, exécutées par des danseurs et danseuses beaux et généreux.
Il y a quarante ans, Trisha Brown faisait exploser les codes de la danse. Elle sortait des salles pour jouer sur les toits ou dans les rues. Ses "Early works" sont rejoués depuis plusieurs années, dans les lieux les plus surprenants (même dans un ascenseur dont les portes s’ouvrent et se ferment). Trisha Brown réinventait le geste, démontrait que le minimalisme peut être plein d’émotion, joué avec une géométrie et une mathématique implacables. Toute une partie de la danse actuelle (comme Anne Teresa De Keersmaeker) était là en germe.
Charleroi Danses travaille la possibilité, malgré le départ vers d’autres cieux de Trisha Brown, de collaborer encore avec la compagnie pour jouer des "morceaux" des grandes chorégraphies dans des lieux à nouveau insolites.
On reverra la compagnie mardi soir, au PBA, pour son "Grand répertoire". A ne pas rater.
Explosion
Ce week-end, on a aussi pu découvrir la dernière création de Johanne Saunier, "Modern Danse" : un trio de danseuses enthousiasmant. Inspirées par l’idée des marathons de danse américains qui continuent jusqu’à l’épuisement, Johanne Saunier et ses deux excellentes complices sur scène (Ine Claes et Sabine Molenaar) sont entraînées dans une danse pure, spectaculaire et sensuelle, avec la musique de Miles Davis. Avec des moments de repos et la seule corde d’un ring pour s’appuyer. Beaucoup de la réussite du spectacle tient à la qualité des danseuses et au rythme où rien n’est inutile.
C’est un peu ce qui manque à la nouvelle création de Thomas Hauert, "Mono". Le chorégraphe belgo-suisse a d’excellentes cartes en mains : huit bons danseurs, une musique audacieuse créée à l’Ircam (Beaubourg) avec des bruits de la ville et une violoniste jouant dans les gradins du public, avec des costumes de couleurs, très réussis, etc. "Mono" démarre par un somptueux duo de corps emmêlés, tournoyant, entre attirance et répulsion, lutte et sensualité. Ce tournoiement marquant le temps continuera tout au long du spectacle. L’émotion surgit quand par exemple un danseur caresse doucement les bras d’autres danseurs effondrés par on ne sait quelle apocalypse. Mais peu à peu le fil se perd et on se dit que "Mono" aurait intérêt à être resserré avec une dramaturgie plus claire.
Gwendoline Robin est une performeuse qui s’est fait connaître par ses spectacles pyrotechniques de feu et d’explosions, et par son emploi du verre, fragile et fracassant. Elle a présenté au BP 22, le centre d’art contemporain qui a enfin reçu les crédits pour son agrandissement/rénovation, une étape du travail "Juste après de terre et de feu" qu’elle présentera au prochain Kunsten. Elle utilise parfaitement la grande halle industrielle du BPS 22, "jouant" avec un disque de verre dont on s’effraie de le voir tomber, faisant exploser la terre, se recouvrant d’un grand film d’aluminium qu’elle met en feu. Une autre forme de danse.
Enfin, Louise Vanneste, en résidence à Charleroi Danses, présentait "Black Milk" (tout récent Prix de la critique du meilleur spectacle de danse), une chorégraphie qui est comme un chemin mystique, sur une musique planante, dans une semi-lumière. Un duo de danseuses en miroir-démiroir, qui a travaillé ses gestes, ralentis comme certains arts martiaux, lors d’improvisation. Une danse qui captive ou laisse de marbre.
Cette semaine, d’autres moments forts de la Biennale sont attendus, outre Trisha Brown. Mercredi, à Bruxelles, on pourra voir, successivement, deux versions contemporaines du "Sacre du printemps", pour le 100e anniversaire de cette célèbre chorégraphie et musique. Par les Français Laurent Chétouane au Kaaitheater (mercredi et jeudi) et Dominique Brun à la Raffinerie (mercredi).
La Biennale, à Charleroi, Bruxelles, Mons, Liège, jusqu’au30 novembre. Infos & rés.: 071.20.56.40, www.charleroi-danses.be