Deux Murgia délicieux pour le prix d’un
Fabrice Murgia joue les deux jumeaux vénitiens de Goldoni.
Publié le 21-11-2013 à 05h39 - Mis à jour le 24-11-2013 à 13h57
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On connaissait déjà Fabrice Murgia, le metteur en scène du "Chagrin des ogres" et de tant de spectacles par la suite, celui qui sera à Avignon, en juillet, dans le "in". On connaissait son frère David Murgia, le comédien qui a triomphé, du "Signal du promeneur" à "Discours à la Nation", mais on avait oublié le Fabrice Murgia, acteur. A tort, car il réalise une performance époustouflante dans "Les jumeaux vénitiens", la comédie de Goldoni, montée par Mathias Simons et créée mardi au National.
Il joue les deux rôles des jumeaux. Zanetto, le frère niais, mais riche, qui habite la campagne près de Bergame et qui arrive à Vérone pour épouser Rosaura qu’il n’a jamais vue. Il joue aussi Tonino, le frère qui a bien plus d’esprit, amoureux de Béatrice et qui vient de Venise qu’il a dû fuir.
Toute la pièce créée par le Vénitien Goldoni en 1745 repose sur cette gémellité parfaite, source d’inextricables quiproquos. On croit voir l’un alors que c’est l’autre. Ce nœud de malentendus clownesques se termine par deux morts empoisonnés et par la mise en lumière des vrais désirs de chacun : le sexe, l’argent, le pouvoir. En fait, rien n’a changé depuis 270 ans.
A la De Funès
Fabrice Murgia joue le niais avec un accent irrésistible de paysan et des gestes à la De Funès. Il est d’une parfaite drôlerie. En une seconde, par un simple changement de veste (peu à peu effectué "live" devant nous), il devient le frère malin et séducteur. C’est un rôle de composition, de bouffonnerie, qui a séduit une salle où les jeunes étaient majoritaires. A se demander comment ce diable de Murgia arrive à faire tant de choses. Il n’est pas le seul à briller, même si la pièce veut qu’il occupe tout le terrain. Un autre acteur brillant de la jeune génération (et metteur en scène), Vincent Hennebicq, joue un Florindo truculent lui aussi. Et Vincent Cahay fait de Pancrace, le Tartuffe bouffon et pervers par excellence.
On pourrait se demander si ces comédies anciennes sont encore à monter aujourd’hui. Mais à la voir ici, dans un texte plus contemporain et vivant, avec de tels acteurs, on est prêt à se réconcilier avec l’ingrat travail de rejouer les classiques et on trouve un moment de bonheur théâtral.
Pour tout décor, on a une fresque d’Alexandre Obolensky avec un ciel immense sur un paysage de ville qui est autant Venise que Bruxelles. Avec les éclairages, ce ciel a toutes les couleurs. Les acteurs jouent devant la fresque, sur un grand miroir, tandis que derrière l’écran, ils se changent, grimpent aux cintres, ou déboulent tels des diables de commedia dell’arte, sur le plateau en se roulant sous la toile.
Une belle scénographie, une mise en scène nerveuse : ne boudons pas le plaisir sain de rire de nous-mêmes et de nos vices quand ce sont de si bons acteurs qui nous entraînent. Avec cette ambiguïté intéressante : et si le niais vivant à la campagne n’était pas le plus sage de tous ? Et si le monde "dominé par le vil", n’avait pas besoin d’être renvoyé aux vaches ? Le niais dit cette phrase mystérieuse à méditer : "Si ce n’est pas le loup qui mange l’agneau, c’est le boucher qui l’égorge."
Bruxelles, Théâtre National, jusqu’au 7 décembre. www.theatrenational.be et 02.203.53.03