Vérone, l’inexorable violence
Belle vision de "Roméo et Juliette" à l’ORW. Davin cisèle, Massis impressionne.
Publié le 21-11-2013 à 05h39 - Mis à jour le 24-11-2013 à 13h57
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Au lever de rideau, la violence règne dans Vérone : avant même les premières mesures de l’ouverture, et plus encore pendant qu’elle retentit, cela ferraille, cela esquive, cela se transperce. Huit morts, et l’action n’a même pas encore commencé. Le spectateur est plongé dans une Renaissance stylisée : décors de grands parallélépipèdes blancs percés de quelques fenêtres ogivales, costumes blancs eux aussi pour les choristes et figurants, toques noires ou rouges selon qu’ils sont Capulet ou Montaigu, et couleurs plus chaudes, or et pourpre, pour les protagonistes.
Ancien assistant de Nicolas Joël, Arnaud Bernard a hérité de l’actuel directeur de l’Opéra de Paris le goût d’une tradition qui n’a rien de poussiéreux : sa lecture du "Roméo et Juliette" de Gounod est élégante et sobre, éclairée avec soin, et il conte de façon efficace et claire une histoire qu’il aime manifestement. Les scènes d’ensemble sont particulièrement réussies même si, en début de soirée surtout, les interventions du chœur manquent parfois de netteté. De l’amour pour l’œuvre et sa partition, il y en a aussi dans la fosse : pour "sa" production annuelle à l’ORW, Patrick Davin cisèle chaque passage avec compétence et raffinement. Parfois un peu lent (avec deux entractes, la soirée frise les quatre heures !) mais coloré, équilibré et jamais grandiloquent.
On attendait impatiemment la Juliette d’Annick Massis : la soprano française est une des favorites du public liégeois, elle a signé sur la scène du Royal quelques brûlantes incarnations, mais elle n’a plus vraiment l’âge de la fiancée de Roméo. Au premier acte, et notamment pendant la fameuse valse "Je veux vivre", on craint le pire : la virtuosité reste certes impressionnante, mais l’aigu est instable et la diction, d’habitude impeccable, en souffre, sans parler de ces postures juvéniles qui sonnent faux. Heureusement, dès le duo du deuxième acte et jusqu’au duo final, on sera convaincu : la Juliette aimante et plus posée sied mieux à Massis qui, peu à peu, impose sa puissance, sa solidité, sa technique et même sa crédibilité, avec désormais une prononciation parfaitement intelligible. A ses côtés, Aquilles Machado n’est sans doute ni le plus jeune ni le plus séduisant des Roméo, sa diction est moins idiomatique et son suraigu parfois imprécis : mais quelle fougue, quel engagement et quelle solidité, jusque dans le registre grave, exceptionnellement sonore.
Le reste du plateau est sans faille, avec l’avantage en outre de donner leur place à nombre de chanteurs locaux : Roger Joakim (Gregorio), Patrick Delcour (le Duc), Christine Solhosse (Gertrude), Marie-Laure Coenjaerts (Stephano) ou Laurent Kubla (même s’il n’a pas tout à fait les graves du père Capulet), et surtout Pierre Doyen, impeccable Mercutio jusque dans sa ballade de la Reine Mab. Dignes d’éloges aussi, le très solide Frère Laurent de Patrick Bolleire ou le Tybalt passionné de Xavier Rouillon.
Liège, Théâtre Royal, les 21, 23 et 26 novembre à 20h; www.opera-liege.be