Sans mots, une fantaisie de sens
Scènes La Cie 3637 cisèle "Keep going", étrange bijou de théâtre visuel. Au Labo du Marni.
- Publié le 13-03-2014 à 20h32
- Mis à jour le 15-03-2014 à 16h45
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Lumière sur un petit appartement bien ordonné. Le micro-ondes vient de sonner. Par la poste est arrivé le paquet tant attendu, le DVD qui confirme la bonne nouvelle : Eddie, 139 ans, s’en va vivre à Sun City, ville fantasmatique exclusivement peuplée de retraités, sous le soleil d’Arizona.
Sauf que… sa sœur Beth débarque, plus qu’en visite : s’installe. A 140 ans, elle n’est plus suffisamment autonome.
Prix de la critique dans la catégorie meilleure découverte pour "Où les hommes mourraient encore", en 2011, Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola développent un art subtil qui fait parler les corps, les gestes, les objets, les situations, les regards, les habitudes, les lassitudes - au-delà des mots.
Rêves et frustrations
Les deux jeunes acteurs, de 30 et 32 ans, se mettent cette fois en scène, transformés en supercentenaires par les maquillages et prothèses de Florence Thonet. Avec la complicité de Sophie Leso, à la mise en espace et en mouvement, ils occupent ce petit univers peuplé de rêves autant que de frustrations. Avec, au centre, ce tiraillement d’Eddie : partir en chemise hawaïenne à la rencontre de ce but qu’il s’est efforcé d’atteindre, ou rester auprès de sa sœur, qui a besoin qu’on s’occupe d’elle. En tout cas continuer : "Keep going".
Sous le réalisme pointilleux du début - auquel contribue la scénographie d’Aurélie Deloche - poindra bientôt l’étrangeté. La fantaisie aussi, lorsque la jeunesse des interprètes jaillit dans le grand âge des personnages le temps de quelques pas bondissants, ou quand à la faveur d’un intermède au noir l’horloge blanche s’est muée en coucou rose bonbon…
Chambre d’échos
Dans un monde où règnent l’image et le jeunisme, la Cie 3637 assume ici des choix culottés, aux résonances singulières. Jamais muet malgré l’absence de paroles (soulignons la création sonore de Nicola Testa), et assurément très écrit, "Keep going" fourmille de détails visuels et sonores - on songe à Tati -, fruits de la fine observation des acteurs, de leur imaginaire, de leur sens du décalage.
De leurs traits méticuleux, avec un mélange de compassion et d’ironie, ils peignent la maniaquerie agacée de l’un, les égarements de l’autre, l’élan et la chute, la sollicitude, la cruauté, la tendresse.
Bruxelles, Marni/Labo, jusqu’au 22 mars et du 1er au 5 avril, à 20h (les jeudis et le samedi 22 mars à 19h30). Durée : 1h. De 5 à 11 €. Infos & rés. : 02.639.09.82, www.theatremarni.com