"La Vestale" piégée par de mauvais choix

L’œuvre de Spontini vaut le détour, mais par un autre itinéraire. Au Cirque royal.

Martine D. Mergeay
"La Vestale" piégée par de mauvais choix

L’idée de la Monnaie était bonne de fouiller dans cette époque postclassique injustement délaissée formant le lien entre Gluck et Wagner dans l’élaboration du "drame musical", là où musique, texte et théâtre avancent de front, loin des vains entrelacs du "beau chant". Deux siècles après sa création, l’opéra "La Vestale" de Gaspare Spontini (1807), garde ses atouts de départ : beauté de la musique, annonciatrice du romantisme par ses trouvailles harmoniques, ses ruptures, sa riche orchestration; audace d’un livret célébrant le courage d’une femme prête à mourir pour suivre son désir; équilibre entre le drame intime et les enjeux collectifs. Fruit d’une coproduction entre la Monnaie et le Théâtre des Champs-Elysées, la première eut lieu mardi au Cirque royal, lieu difficile on le sait, mais cela n’explique pas tout.

Tourner le dos à…

Première observation : l’orchestre, placé non plus sur le côté (comme dans L’Elisir) mais dans l’axe de l’entrée principale, en demi-cercle, devant la scène, est disposé à l’envers, c’est-à-dire que les cordes - et le chef, Alessandro de Marchi - sont au pied du plateau, et les vents et les percussions, en bordure du public. Le chef a donc le choix de s’adresser à l’orchestre en tournant le dos à la scène - ce qu’il fit notamment pour l’ouverture - ou au plateau en tournant le dos à l’orchestre. C’est de Marchi lui-même qui a souhaité cette disposition, courante, paraît-il, au XIXe siècle.

De notre place, située dans l’axe le plus favorable, ce choix nous a semblé contre-productif : tout d’abord, parce qu’il fait reculer les instruments les plus doux (les cordes) au bénéfice des vents (plus perçants) et altère la perception de l’orchestre par le public; ensuite parce que, face à la masse des chœurs, le chef se retrouve seul, à mouliner comme un fou, tout en devant "tirer" son orchestre de dos, pour le mettre en connexion avec le plateau; enfin parce que chaque entrée de soliste pâtit d’un retard à l’allumage, faute, pour le chef, de pouvoir englober - d’un même regard et d’un même geste - l’orchestre et le chanteur. Ainsi, le soir de la première, outre les décalages, la musique manqua singulièrement de tension et de dramatisme.

D’autant que le Français Eric Lacascade, dont c’était le baptême du feu, dut découvrir qu’à l’opéra, c’est aussi du côté des chœurs que se situe le défi… On parlera donc de mise en espace - parfois sommairement chorégraphiée - plus que de mise en scène, à l’exception du 3e acte, seul porteur d’émotion. Tout aussi minimaliste, la direction des solistes raconte peu sur le caractère des personnages; et ne comptons pas sur le visuel austère - signé Emmnauel Clolus, décorateur d’expérience pour le coup, et Marguerite Bordas - pour apporter vie et sensualité à une affaire qui devrait en déborder, et où seule la cruauté des prêtres et de la foule, opposée à la compassion des vestales, fit mine, tardivement, d’en tenir lieu.

Superbe distribution

On finira par le meilleur : la distribution. Outre les chœurs - où l’on saluera particulièrement les jeunes vestales - les solistes, tous francophones et tous en "prise de rôle", sont magnifiques. Avec la soprano franco-canadienne Alexandra Deshorties (Julia), parfois tendue dans le suraigu, mais sensible et engagée; la mezzo Sylvie Brunet-Grupposo (Grande vestale), voix chaude et prenante; le ténor Yann Beuron (Licinus), grande classe vocale, musicale et théâtrale (sauf en marcel…) et le ténor Julien Dran (Cinna), au timbre à la fois corsé et lumineux; et l’impressionnante basse Jean Teitgen (Pontife).Martine D. Mergeay

---> La Monnaie (Cirque royal), du 13 au 25 octobre. Infos : 02.229.12.11 ou www.lamonnaie.be ou tickets@lamonnaie.be

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