Il était une fois la jalousie, poison violent
Georges Lini convoque dans "Un conte d’hiver" l’intime, le politique et le grotesque. Critique.
Publié le 19-01-2016 à 19h34 - Mis à jour le 19-01-2016 à 19h37
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Alors que 2016 marque le 400e anniversaire de la mort du Barde, et que ne sont éteints ni les polémiques ni les doutes sur sa véritable identité, Shakespeare demeure un des dramaturges les plus joués au monde.
Classé parmi ses œuvres tardives, "Un conte d’hiver" (écrit en 1610 ou 1611) commence comme une tragédie. Polixènes, roi de Bohème, est en visite à la cour du roi de Sicile Léontès, son ami d’enfance, presque son frère. Or celui-ci, passionnément amoureux de son épouse Hermione, qui va d’ailleurs lui donner un second enfant, et croyant déceler une liaison entre elle et Polixènes, est saisi d’une furie destructrice. Sa jalouse folie le pousse aux actes les plus terribles. Il veut empoisonner le roi de Bohème - qui s’enfuit - et jette Hermione en prison, où elle donne naissance à la petite Perdita. Qui sera, sur ordre du roi, abandonnée sur un lointain rivage, promise à la mort.
"Toi, je te ferai brûler", dit Léontès à sa femme. "Je m’en fiche. L’hérétique est celui qui met le feu, pas celle qui brûle." Le tragique est à son comble dans cette première partie où Georges Lini imprime fureur et malaise, l’entamant par un banquet bientôt envahi d’animaux lubriques, la concluant par le sang des entrailles outragées et l’absolu désespoir.
Des gens ordinaires
Après plusieurs mois de retrait, le metteur en scène renoue avec le théâtre dans cette nouvelle création de sa Cie Belle de Nuit, qu’il fonda en 1998 (en coproduction ici avec le Parc et l’ATJV). Toujours vive est son envie, dit-il, "de mettre en scène les liens qui unissent l’intime et le politique, la famille et le pouvoir, le pouvoir et la folie. Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument…"
S’il y joint le grotesque en guise de métaphore visuelle - avec l’appui de Renata Gorka à la scénographie et aux costumes, et de Sébastien Fernandez aux images vidéo et au son -, il peaufine son adaptation sans jamais courir derrière l’actualisation. "Rapprocher le texte de la vie. Plus besoin d’emballage. Faire des grands personnages de Shakespeare des gens ordinaires" : crédo aussi culotté qu’efficace. De même, le classicisme ici se combine à l’audace pour nous emmener dans la fable.
Didier Colfs, Luc Van Grunderbeeck, Thierry Janssen, Michel de Warzée, Anne-Pascale Clairembourg, Daphné D’Heur, Sarah Messens, Julien Besure (naguère épatant d’Artagnan sur le même plateau) et Louise Jacob composent une distribution judicieusement éclectique, autour du Léontès enfiévré d’Itsik Elbaz.
Du côté de la vie
L’entracte se solde par un bond de quinze ans. Les cheveux grisonnent. Perdita, recueillie bébé par un berger, est devenue une jeune fille dont est épris le jeune Florizel, qui n’est autre que le fils de Polixènes. Léontès porte sa folie passée en étendard et ses remords en bandoulière. Il y aura de l’amour et de l’adversité, des manigances et encore de la lutte, du travestissement et des retournements, pour emmener la tragicomédie finir plutôt du côté de la vie. Du côté de l’espoir, mais sans rien gommer de la noirceur qui l’a précédé.
Bruxelles, Parc, jusqu’au 13 février à 20h15 (les dimanches et le samedi 13 février à 15h). Durée : 2h35 entracte compris. De 5 à 26 €. Infos&rés. : 02.505.30.30, www.theatreduparc.be
Louvain-la-Neuve, Atelier Théâtre Jean Vilar, du 16 au 28 février. Infos&rés. : 0800.25.325, www.atjv.be