De racines faire théâtre
Scènes "J'habitais une petite maison sans grâce, j'aimais le boudin": une jeunesse au pays de l’usine, celle de Jean-Marie Piemme, brillamment traduite à la scène.
- Publié le 31-05-2016 à 19h43
- Mis à jour le 31-05-2016 à 19h55
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Critique Marie BaudetJ’habitais une petite maison sans grâce, j’aimais le boudin" : d’une phrase du début du texte, Virginie Thirion et Philippe Jeusette ont fait le titre de leur adaptation de "Spoutnik", volumineux récit à travers lequel Jean-Marie Piemme retrace sa jeunesse, de sa naissance un jour de 1944, alors que Liège est bombardée, jusqu’à la disparition de ses parents. Plutôt qu’une réécriture, c’est un choix qu’ils ont opéré parmi l’ample matière autobiographique, pour faire théâtre d’une œuvre qui, quoique celle d’un dramaturge prolixe, n’en était pas.
Si le souvenir hante le spectacle créé jeudi au Petit Varia, la nostalgie ne le grève jamais. Au contraire, cette plongée dans une enfance du siècle dernier se révèle constellée de liens avec le présent. Aux racines d’un homme (la matière de "Spoutnik" se mêle d’extraits du texte "J’ai des racines", paru dans "Alternatives théâtrales" en mai 1998) font écho celles d’une région, d’une industrie, d’une classe sociale, autant d’éclairages aux remous actuels, autant de fils tendus entre l’individu et le contexte, sans pourtant de leçon, ni historique ni sociale ni économique.
Philippe Jeusette juste et tendre
C’est au cœur de l’humain qu’on est entraîné par un Philippe Jeusette juste et tendre, drôle et émouvant. S’appropriant avec naturel l’écriture élégante et désinvolte de Piemme, l’acteur offre à l’auteur (dans la salle) - tous deux ayant entamé leur parcours théâtral à la même période : Piemme écrit en 1986 la première d’une trentaine de pièces, Jeusette épouse en 1987 le premier de quelque 60 rôles, avec parfois entre eux des croisements - une version fictionnalisée de lui-même.
"Nous étions l’aile avancée d’un prolétariat qui rêve de ne plus l’être, mais n’entend pas pour autant s’arracher à ses racines", écrit Piemme, dont le spectacle, par bribes, fait revivre les parents, les proches, le Saint-Nicolas du supermarché et les copains de la cour de récré, la tante qui offrait le goûter à tous les gamins du quartier et l’oncle à qui, comme à d’autres, l’usine donnait soif…
Virginie Thirion, qui cosigne l’adaptation et la mise en scène, assume la présence féminine, maternelle - sans que rien ne soit, là non plus, purement joué ou représenté -, tandis qu’en scène aussi évolue Eric Ronsse, tant interprète de ses compositions musicales que présence encore, interlocuteur, figure du passé comme du présent.
La scénographie de Sarah de Battice inclut dans un espace dégagé la reproduction naturaliste de la cuisine de cette "Petite maison sans grâce", point de rassemblement de cette famille ouvrière qui poussa son enfant vers un autre destin, forte de la conviction que "le fantasme de la difficulté est la pire des castrations".
Bruxelles, Varia (petite salle), jusqu’au 14 décembre, à 20h. Durée : 1h20 env. De 8 à 20 €. Atelier d’écriture par Virginie Thirion (samedi 30/11 de 15h30 à 17h30). Café philo #1 sur le thème "Comment le travail influence-t-il l’identité ?" (mardi 3/12 à 19h). Représentation doublée en langue des signes, en partenariat avec Nyaramaraba production (vendredi 13/12).
Infos & rés. : 02.640.82.58, www.varia.be