Avignon: un trait d'union entre le "20 November" 2006 et le 14 Juillet 2016
Un seul en scène d'une humanité violemment troublante. Qui résonne plus encore au lendemain de Nice.
Publié le 17-07-2016 à 17h45 - Mis à jour le 17-07-2016 à 20h09
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"Pourquoi ?" titrait le quotidien "Libération" au lendemain du carnage de Nice. A Avignon, la pièce "20 November" de Lars Noren y donne un fragment de réponse. Impossible, en effet, de ne pas tracer un trait d'union entre le 14 juillet 2016 et le 20 novembre 2006 , date à laquelle un drame endeuillait l'Allemagne. On s'en souvient, sept ans après la fusillade de Columbine dans le Colorado, Sebastian Bosse, écrasé par une vie de moqueries, pénétrait arme au poing dans son ancien lycée, à Emstetten, en Westphalie, pour y abattre de sang froid d'anciens camarades et professeurs. Avant de commettre son crime, et de se suicider, le jeune homme avait laissé des confessions dans un carnet intime.
Interpellé par ce fait divers tragique, Lars Noren, fils spirituel d'Henrik Ibsen, d'August Strindberg ou d'Ingmar Bergman, a écrit et mis en scène "20 November" créé au Théâtre National en 2008. Un texte qui plonge dans la psyché du personnage à la manière du drame nordique. Nul n'oubliera l'interprétation sans faille, la démarche garçonnière, le regard direct et glacial de la formidable et très physique comédienne allemande Anne Tismer.
Depuis 2006, la Suède et le Danemark sont eux aussi plus concernés par ce genre de drame. Dirigé par la Suédoise Sofia Jupither, qui met également en scène un"Tigern" ("Tigresse) très remarqué ici à Avignon, David Fukamachi Regnfors livre lui aussi une prestation convaincante, distanciée, d'une froide sobriété et pourtant d'une réelle émotion. Surtout au lendemain du carnage qui vient à nouveau d'assombrir le ciel français. Le récit de ce jeune homme déterminé à commettre un massacre glace et touche à la fois les spectateurs. Car l'adolescent, qui se confie froidement avant de commettre son acte ultime et de graver son nom dans la mémoire collective en vue d'exister, retrace une succession d'humiliations trop souvent tues. Des humiliations qui commencent par l'impossible différence, celle qui exclut de la société des nantis ou de ceux qui feignent de l'être. La prise de pouvoir des uns sur les autres commence par le port de vêtements de marque, par un mode de vie vanté par les médias capitalistes et s'achève souvent par le chômage, la pauvreté ou l'immense solitude. Avant d'en arriver là, l'adolescent aura été victime de harcèlement, de la grille de l'école le matin à celle de sa demeure le soir, jusqu'où il aura été suivi sans relâche par une bande de lycéens qui auront agi impunément des années durant. Voilà comment, peu à peu, monte la haine.
Sans avoir fait a priori de lien avec les attentats, Sofia Jupither estime que des mécanismes similaires sont à l'oeuvre dans ces deux types de violences. Les djihadistes et les jeunes adolescents meurtriers sont des outsiders.
La force de sa mise en scène, qui comme tant de spectacles aujourd'hui , s'appuie sur la vidéo, et l'intelligence d'une création pour laquelle elle s'est énormément documentée, résident dans sa capacité à susciter de l'empathie envers ce jeune criminel qui semblait n'avoir d'autre issue. Et qui annonce, de manière tristement prémonitoire, qu'il ne sera pas le dernier. Un parcours et un discours qui pourraient être ceux d'un combattant en première ligne des guerres civiles. Comme le précise ce récit d'une humanité violemment troublante.