Allégorie des absences, un fil ténu mais tendu au Festival d'Avignon
Scènes Ali Chahrour regarde la mort en face et en musique. Puissance de «Leïla se meurt» au cloître des Célestins.
Publié le 22-07-2016 à 16h08 - Mis à jour le 22-07-2016 à 16h11
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L’immersion festivalière génère dans l’esprit des connexions aussi éphémères que singulières et potentiellement puissantes. Ainsi de l’enchaînement de “Leïla se meurt” d’Ali Chahrour avec le spectacle d’Aurélien Bory “Espaece” (dont rendait compte tout récemment Laurence Bertels : bit.ly/EspaeceLB)
Un fil soudain se tend, balisé par les nœuds de l’absence. Là où l’artiste français plonge dans l’esprit de Perec – petit garçon à qui sa mère est à jamais soustraite, et qui deviendra l’auteur virtuose de la vertigineuse “Disparition” –, Ali Chahrour pose dans le cloître des Célestins (où par ailleurs il présentait “Fatmeh” du 16 au 18 juillet) ce qu’il définit comme “une rencontre entre l’acquis, l’inné, le spontané, l’académique et le brut”.
Rituel stylisé
Créé et interprété par le chorégraphe libanais avec Leïla Chahrour et les musiciens Ali Hout et Abed Kobeissi, “Leïla se meurt” commence par la prière murmurée de trois hommes, leurs voix qui enflent, l’ode au dieu unique, l’évocation des martyrs et des mécréants, entraînant d’inévitables, d’irrépressibles échos. Puis elle arrive, la femme, la mère, la conteuse, la pleureuse. Sa voix, son corps, ses mots, ses vers vont dire la perte, l’absence, décrire le deuil, l’incarner, le transformer, faire d’un objet de chagrin un chemin vers la beauté, l’apaisement.
C’est un rituel de lamentation et de catharsis que décrit le spectacle créé en mars 2015 à Beyrouth et présenté jeudi soir en première avignonnaise. On y plonge comme dans un exposé ethnographique, scénographié simplement : instruments à cordes côté jardin, percussions côté cour, ceignant un tapis et une chaise, au centre. Les surtitres, sans offrir toutes les clefs de ces codes, entrouvrent des portes vers cet ailleurs si proche, ces peines si familières. On s’y faufile, laissant s’insinuer en nous les sons, les rythmes, les émotions que transcende ce rituel stylisé.
La création et son contexte
Poursuivant actuellement une maîtrise à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Ali Chahrour étudie dans sa thèse la relation entre la danse et le corps d’une part, la religion et le sacré de l’autre, sacré incluant, dit-il, “les rituels et les pratiques religieuses islamiques et chiites dans le monde arabe”.
Inscrit dans le Focus Moyen-Orient que propose le Festival d’Avignon 2016, avec notamment le Syrien Omar Abussaada, et le splendide et mystérieux “Hearing” d’Amir Reza Koohestani (créé au Kunstenfestivaldesarts, v. bit.ly/VoixIran, et présenté ici jusqu’au 24 juillet), “Leïla se meurt” dépasse la litanie des malheurs. En sondant les traditions funéraires chiites, ce concert dansé poétise, humanise, universalise l’intime du chagrin – qui par ailleurs infuse l’ordre public, l’actualité politique (comme en témoigne très différemment l’acclamé “Tristesses” d’Anne-Cécile Vandalem). Or, pour le jeune chorégraphe libanais, “la question de la création est devenue inséparable du contexte dans lequel elle s’exerce”.

Festival d’Avignon, jusqu’au 24 juillet. Infos, images : www.festival-avignon.com
Festival Off au Théâtre des Doms, jusqu’au 27 juillet. Avec entre autres “Ils tentèrent de fuir”, adapté des “Choses” de Georges Perec. Infos : www.lesdoms.eu