Dans les couloirs de la mort, volontaire ou non
"Suzy et Franck", un spectacle percutant que devraient voir tous les adolescents. Qui seront aussi confrontés aux questions du suicide et de la bisexualité...
- Publié le 22-08-2016 à 16h20
- Mis à jour le 22-08-2016 à 18h30
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De la tension du début à la fin, disait - en substance - Stefan Zweig. Didier Poiteaux ne le contredira pas. L'auteur et interprète de "Suzy & Franck" par l'Inti théâtre vient de livrer aux Rencontres théâtre jeune public une pièce sur la peine de mort que tous les adolescents devraient voir. Suspendu aux lèvres du comédien, tout en justesse et retenue, le public hutois, professionnel et exigeant, n'a pas perdu une syllabe de ce récit glaçant, émouvant, nécessaire et percutant. Rarement on a pu percevoir une attention d'une telle acuité, une écoute d'autant plus accrue que l'importance du propos, nourri par des recherches et témoignages, se voit servie par une écriture ciselée, une interprétation sans faille et une mise en scène d'Olivier Lenel d'une discrète intelligence. Encore un vrai coup de cœur à Huy.
L'origine du spectacle, une "docu fiction théâtrale" en quête d'humanité, remonte à 2010, date à laquelle une prison américaine se retrouve en rupture de stock de Thiopental, un barbiturique administré avant l'injection létale qui devait garantir aux condamnés les trois critères défendus par Antoine Guillotin : infaillibilité, décence et humanité (sic!).
Mais avant de partir dans les couloirs de la mort, Didier Poiteaux s'assied au bout du gradin en angle et converse avec le public, rappelant que, à 16 ans, Federico Garcia Lorca publiait son premier roman, qu'Eden Hazard marquait son premier but et que Mozart comptait huit ans de carrière à son actif. A 16 ans, toujours, Suzy s'est intéressée à la politique suite à l'exécution du jeune Christian Ranucci.

L'auteur rencontre Suzy dans un bar lorsqu'elle a 55 ans. Il l'imite lors de ce rendez-vous avec talent.
Suzy a rendu visite à Frank en prison. Ils entament une correspondance. En 2005, les conditions de détention de Franck se détériorent. Ils se marient pour continuer à se voir malgré les restrictions imposées au détenu. La description de la nuit de noces, du corps inconnu de l'autre, est de toute beauté. Le jour de l'exécution approche. Suzy retourne aux États-Unis. Quatre heures avant le moment fatidique, les prisonniers, selon la tradition, tapent sur les tuyaux pour dire au condamné qu'ils pensent à lui. Les rebondissements se succèdent, la tension est à son comble, Didier Poiteaux poursuit son récit avec précision mais aussi avec une distance pudique. Les faits se suffisent à eux-mêmes et l'on espère qu'à l'instar d'"Un homme debout" ou de "L'Enfant sauvage", "Suzy & Franck" deviendra pièce d'utilité publique.
Accident de personne
Le suicide, autre sujet de société qui concerne les adolescents et que Marie Limet, au texte et à la mise en scène, aborde avec l'énergie spontanée et contagieuse découverte dans "Tout le monde ça n'existe pas", le récit percutant de son handicap, ce bras amputé qui aura changé le cours de son existence.
Cette fois, elle ne monte pas sur scène et donne à l'actrice argentine Natacha Nicora des rôles taillés sur mesure. Qu'elle incarne, avec son délicieux accent sud-américain, la bénévole de "SOS suicide", l'infirmière qui, tout en vidant sa fiole de rhum, compare les douleurs physiques et morales, ou celle qui, suite au suicide de son amie, l'envoie "se faire foutre" lors d'une colère salutaire, elle irradie sur le plateau, rappelant les actrices délicieusement déjantées d'Almodovar. Avec, toujours, cet humour teinté de gravité et inversement.

Du théâtre physique encore, partiellement autobiographique, rock and roll, porté par David Bowie, qui explore avec intelligence et générosité, malgré quelques longueurs et imperfections, les différentes formes que peut prendre la fascination des jeunes pour le suicide. Une danseuse, Fanny Brouyaux, et deux comédiens, Baptiste Moulart et Natacha Nicora incarnent les différents personnages convoqués. Très belle découverte à nouveau qui aura interpellé et intéressé les jeunes réfugiées du centre d'accueil de Jalhay, venues d'Irak ou d'Afghanistan et qui grâce à l'animation "Spect'acteurs" assistent à des spectacles tous les jours, et que nous avons rencontrées.
Un dernier mot pour clore cette journée de Rencontres d'une grande richesse à nouveau à propos de l'engouement suscité, comme attendu, par "La Théorie du Y", un texte, autobiographique lui aussi, et une mise en scène de Caroline Taillet qui s'intéresse à la question de la bisexualité jamais évoquée jusqu'ici au théâtre pour adolescents. Un spectacle créé au Poche au printemps dernier.
"Suzy & Franck" se jouera à Bruxelles, les 9, 10 et 11 mars à l'Espace Senghor et les 21, 22 et 23 mars au Centre culturel Jacques Franck.
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