Ces objets qui appellent Agnès Limbos
Publié le 03-10-2017 à 19h15 - Mis à jour le 04-10-2017 à 14h57
C'était couru d'avance. Un train... Avec un nom de compagnie comme Gare Centrale, parce qu'il fallait en choisir un, en 1984, lors de la création de la compagnie et que les gares, cela évoque les voyages, les au revoir, les retours, le mouvement. Un train sur un tapis d'herbe synthétique où broutent des vaches en plastique. Un train au pied d'une montagne de ouate blanche. Un train surtout qui tourne dès qu'on pousse sur le petit bouton à droite à hauteur d'enfant. Un peu à la Jaco Van Dormael qu'Agnès Limbos connaît si bien.
Que n'a-t-on déjà écrit sur cette grande dame du théâtre d'objet qui avec un abat-jour, un couteau, quelques lampions, une vieille caravelle ou un squelette en PVC vous raconte toute une histoire ? C'est que l'actualité de cette grande artiste, plus connue, un grand classique, à l'étranger que chez nous, se bouscule à nouveau. Au cœur d'un focus aux Martyrs et à la Montagne magique en février dernier, la voici invitée d'honneur a Charleville-Mézières, ce Festival mondial des théâtres de marionnettes, grand rendez-vous biennal qui draine un public nombreux venu de France, de Navarre, de Belgique, d'Italie, d'Espagne, du Japon...
Artiste fil rouge
Bien connue de la ville de Rimbaud puisqu'elle y enseigne à l'Institut de la marionnette, entre autres « master classes » données dans le monde entier, Agnès Limbos n'avait cependant jamais été élue comme artiste "fil rouge" selon l'expression consacrée ici, dans les Ardennes françaises. Un signe qui en dit long sur la reconnaissance de l'objet et sur l'évolution de la marionnette prise dans le sens le plus large possible. Loin du Guignol qui trône encore dans l'univers collectif, la marionnette aujourd'hui, comprend aussi l'objet inanimé soudain manipulé.
Dans la foulée, elle sera, ces 6 et 7 octobre, au Théâtre Marni a Bruxelles pour un focus sur le théâtre d'objets ou l'on pourra également admirer son exposition "Sans crier Gare !" qui fit, à Charleville, les beaux jours de la "Vitrine des Ardennes".
Le cou emmitouflé dans son écharpe, un cuir élimé sur le dos, Agnès Limbos nous attend sous les Arcades de la Place Ducale, réplique identique de la place des Vosges qui fait les fierté des Carolomacériens. Il fait très automnal en ce mois de septembre dans les Ardennes françaises . Elle est accompagnée de Veronika Mabardi qui prépare un livre sur elle. En attendant de pouvoir le feuilleter, en voiture pour un voyage à travers les temps qui nous emmène aux tout débuts de cette grande artiste qui, enfant, a découvre les objets miniatures des cadeaux Bonux. Et qui entretient avec eux une relation de plus en plus forte au fil du temps. Irrationnelle, elle en convient en nous avouant que parfois les objets l'appellent.
L'amour du kitsch
« Il m'est déjà arrivé de revenir sur mes pas pour ramasser un bout de bois en me disant que je ne pouvais pas le laisser là ». Un bout de bois qui deviendra personnage, radeau ou clocher.
Car c'est cela, le théâtre d'objet : la magie de la transformation, le pouvoir rendu à l'imagination, le règne de la récupération et l'amour immodéré du kitsch, en ce qui concerne notre interlocutrice. "J'ai plein d'objets chez moi, rangés dans des tiroirs qui sont étiquetés.Certains sont exposés sur une étagère. Je les change parfois. Certains restent très longtemps et puis tout à coup me font signe. Je sens alors qu'il est temps que je les utilise dans un spectacle."
Une balade à travers son exposition déclinée sur deux étages à Charleville en dit long sur son univers, sur ces objets glanés partout où elle va, au marché aux puces, chez Emmaüs etc.
De « Petrouchka » en 1984, coup d'essai qui fut un coup de maître, joué 800 fois dans le monde entier, à « Baby Macbeth » en création mondiale à Charleville, Agnès Limbos, en plus de trente ans, a créé 15 spectacles présentés plus de 3500 fois dans le monde entier. En admirant les décors, très bricolés, de chaque spectacle, on réalise à quel point tout se tient dans cet univers cohérent où la cruauté, le réalisme et le morbide trouvent aussi leur place. Agnès Limbos n'a pas pour habitude d'épargner les enfants, tout en sachant pertinemment jusqu'où elle peut aller.
Une chaussure militaire, une boîte de petits pois produits blancs, une mappemonde, un nain de jardin, un couple de mariés destiné à trôner sur la pièce montée seront autant de points de départs d'histoires qu'elle voudra raconter aux enfants. Visite guidée, objet par objet.
La chaussure militaire qui écrase la poupée "Petrouchka" (1984).
«Pour moi, la chaussure militaire, c'est le pouvoir, qui écrase. De là, j'ai eu envie de conter l'histoire de Stravinsky».
La boîte de "Petit pois" : « Soudain, en voyant cette boîte de conserve, j'ai imaginé ces pauvres petits pois tout serrés et j'ai raconté l'histoire des camps de concentration.
J'ai ouvert la boîte et j'ai jeté tous les petits pois au pied d'un mirador puis avec un mégaphone, je criais : rangez vous deux par deux.
Puis j'arrive avec un mixer en guise d'hélicoptère qui survole le camp et je mixe tous les petits pois pour en faire un potage. Un jour, un petit garçon de cinq ans s'est levé et m'a dit : « laissez ces petits pois innocents tranquilles ! ». J'étais perturbée mais j'ai continué l'histoire, la fuite de Petit Pois qui croise des réfugiés, en 1987 déjà, et puis la recherche de sa famille qu'il finira par retrouver. »
Pour les réfugiés, Agnès Limbos a fabriqué plusieurs petits personnages, ployant parfois sous le poids de leurs bagages, en file sur un bout de bois et allant tous dans la même direction. Certains portent un chapeau vietnamien, d'autre leur voile, d'autres encore leur paquetage ou leur bébé. Tableau miniature mais éloquent d'une actualité encore plus criante aujourd'hui.
Cinq tableaux se succéderont avec des tonneaux qui s'ouvriront pour dévoiler l'intérieur d'une maison.
Ce spectacle a été joué 700 fois et resté à l'affiche pendant un mois à Montréal où il reviendra dix ans plus tard.

C'est un masque à gaz qui est à l'origine du "Sourire du fou", un spectacle pour adultes qui raconte l'histoire d'une cantinière amoureuse d'un tambour major. Mais un jour, le tambour, qui comme toujours était en première ligne, tombe sur le champ de bataille. Elle le retrouve. Il lui avoue qu'il lui a menti, qu'il a une épouse et un fils et lui demande de le retrouver pour lui donner son tambour.
L'amour d'Agnès Limbos pour le tambour a aussi joué un rôle dans cette histoire.
«Je voulais me prendre pour Dieu dans «La création du monde ». J'avais une barbe mais j'avouais que ce n'était pas ma vraie barbe nous dit Agnès Limbos en nous montrant cette kyrielle de sœurs sur une branche qui s'active comme un carrousel ».
« Petites fables », créé en collaboration avec Françoise Bloch : trône une petite horloge suisse dont on devine immédiatement qu'elle a littéralement fait craquer Agnès Limbos. Ce spectacle qui part des clichés de chaque pays, l'Américain avec son hamburger, par exemple, met aussi en lumière toute la dureté de la chanson du cerf qui risque de ne pas ouvrir la porte au petit lapin. Les couteaux sanguinolents ne sont pas absents de ce spectacle joué derrière une table.
Suite à sa programmation, lors de la première saison des Doms, vitrine de la Communauté française à Avignon, il a tourné plus des deux cents fois. Une version adultes existe également.
L'abat-jour est à l'origine de «Dégage, petit!». «J'adore les abat-jours. J'avais envie de raconter une histoire avec un abat-jour que je portais en guise de jupe. Partant de là, j'ai raconté l'histoire du Vilain Petit Canard, à ma manière.
C'est incroyable le nombre de personnes qui sont venues me trouver en pleurs dans ma loge après. Elles s'étaient identifiées soit en en tant qu'enfant soit en tant que parent.
C'est aussi un rêve de ma collaboratrice regrettée Marie-Kateline Rutten qui est à l'origine de ce spectacle. Elle avait rêvé qu' elle avait un poisson dans son sac et elle ne savait pas si elle devait ouvrir ou fermer son sac.
J'avais aussi entendu une émission de Boris Cyrulnik à la radio suite à la sortie de son livre « Les Vilains petits canards » (Odile Jacob, 2004) sur la résilience.
Les petits nains de jardin : "J'avais été fascinée par le kitsch pavillonnaire, ces pensionnés qui s'occupent de leurs jardins."

Des petits couples de mariés sur les pièces montées donneront naissance à « Troubles », un spectacle pour adultes. Il s'agit de la première collaboration avec le musicien Gregory Houben et apparition pour la première fois du mot "Darling" .

Les vanités et les oiseaux empaillés m'ont donné envie de créer « Conversation avec un jeune homme» . Je voulais parler de la vieillesse, de quelque chose de très rigide. D'où ma robe d'époque et ma perruque blanche. Et pour parler de la vieillesse, il fallait aussi évoquer la jeunesse. Mon fils , alors élève à l'école de danse d'Anvers, m'a proposé de danser sur scène. Et nous avons relevé le pari. »

Je pars d'une caravelle, un train pour « Ressacs ». Victime de la crise du subprimes, un couple américain part à la dérive.

Le petit crâne en plastique me donnera envie de créer « Baby Macbeth », mon premier spectacle pour les bébés dont Charleville accueille la création mondiale.
Bruxelles, « Parole d'objet » les 7 et 8 octobre au Marni pour le festival Météorites de Pierre de Lune, 25 rue de Vergnies. Spectacles et expo « Sans crier Gare ! »
Infos : www.theatremarni.be ou 02 639 09 82