Laurence Bibot: “L’idée de vieillir me terrorise”
Publié le 09-03-2018 à 06h53 - Mis à jour le 18-09-2018 à 11h09
Entrée fracassante. Du rock métal fait vibrer la petite salle du Kings of Comedy Club. Laurence Bibot arrive sur scène, mimant une guitariste, rapidement essoufflée… “Je me sens vieille, lance-t-elle. Mais j’essaie de faire jeune. Je me suis fait tatouer sur le mollet droit un cornet de frites avec de la mayonnaise […] Mes amis, bien intentionnés mais un peu inquiets, m’ont dit : ‘Ça t’amuse maintenant, mais dans 30 ans…’. Dans 30 ans, je m’en fous ! J’aurai 80 ans, dis ! Je serai bien contente, en maison de retraite, de pouvoir montrer ce que j’aime manger !” Eclat de rire général.
Pour son second stand-up, “Bibot Distinguée”, l’humoriste belge cultive son ton chic et choc, mêlant vocabulaire pincé et tirades plus grivoises, pour s’attaquer, tout en cynisme et tendresse, à une large palette de thématiques : la famille, la vieillesse, la mort, le bio, le couple, les enfants, les affichettes de chiens perdus,… Autant de sujets qui font joyeusement écho à notre quotidien et font de Bibot une artiste attachante, sans prise de tête, qui, depuis 25 ans, incarne l’humour féminin sur les planches, en télé et en radio.
Vous venez de fêter vos 50 ans. Donc, vous avez pratiquement passé la moitié de votre vie sur scène. Comment vous est venu ce goût pour l’humour ?
Il y a des familles où l’on pratique le tennis, les échecs, le poker ou la randonnée. Nous, on pratiquait l’humour. Nous étions cinq enfants et on s’encourageait presque à se foutre l’un de la gueule de l’autre. Quand on était un peu vexé, ma mère nous disait : “Non, c’est bien, ça vous forme le caractère”. Moi, ce qui m’intéressait, c’était de me déguiser, être dans un monde que je m’étais inventé. Je n’étais pas très sociable. Je me suffisais à moi-même. Vers 19-20 ans, je me suis dit que les études n’étaient pas pour moi. Et il y a eu des rencontres, la Ligue d’impro, des gens qui m’ont fait confiance ou qui ont vu des choses que je ne voyais pas.
Qu’est-ce qui a été le déclic ? La Ligue d’impro ?
Oui. J’ai été confrontée aux copains comédiens et au public de manière très immédiate, sans pour ça avoir de background théâtral – j’avais fait une école, mais pas très technique. Là, on pouvait vraiment s’en sortir à l’instinct. Alors, c’était aussi un peu cruel, mais on sentait assez vite si ça marchait ou pas. Et ça marchait très bien; c’était très populaire.
Vous parliez des rencontres. Une rencontre qui a été importante dans votre carrière, c’est celle avec les Snuls et ce fameux personnage de Miss Bricola, sujet de fantasme à l’époque…
On en parlait il y a peu… Que parfois, en tant que fille, c’est pas mal de ne pas toujours être très consciente de ce qu’on dégage. C’est un peu un état de grâce où tu ne sais pas très bien que les hommes n’ont qu’une bite à la place du cerveau et que quand ils te regardent, c’est juste pour te sauter. Je schématise… Mais je veux dire par là que Miss Bricola, pour moi, c’était un clown et pour d’autres, c’était un objet de fantasme dont je n’étais absolument pas consciente. Je ne ferai que répéter cela toute ma vie.
Dans cette foisonnante décennie 90 arrive le spectacle “Bravo Martine”. Comment est né ce personnage ?
Mes parents avaient reçu dans leur boîte aux lettres une petite annonce d’une fillette de 9 ans, qui était prête à laver les voitures, promener le chien et faire des enquêtes. Ce petit mot, je l’avais trouvé super mignon parce que je m’étais dit : “cette petite fille doit s’emmerder solidement, mais en même temps, elle a de l’imagination et le sens de l’entreprise”. J’ai commencé à écrire des petites choses en me mettant à sa place. Et puis j’ai fait lire ça à Nathalie Uffner (NdlR : comédienne, metteuse en scène et directrice artistique du Théâtre de la Toison d’Or) et l’aventure du TTO est née en même temps que “Martine”.
Vous avez ensuite eu plein d’autres collaborations : du théâtre, de la musique avec votre compagnon Marka, du cinéma, puis, le Jeu des dictionnaires, les Cafés serrés,… Pourquoi avez-vous cette envie de toucher à tout ?
La Belgique francophone est un petit territoire. Donc, il y a intérêt à se diversifier. Parce que c’est bien de faire du théâtre, mais si on me désirait moins ou si j’avais moins de pièces, je n’avais pas envie de passer des mois sans travailler; je ne pouvais pas me le permettre. Et puis, ici, on n’est pas très vite étiqueté puisque notre succès est toujours très modeste. Si j’avais envie de chanter, même si c’était un peu expérimental, personne n’allait me le reprocher. Donc, j’exerce ma profession comme un artisanat. Ce que je fais n’est pas fait pour être distribué dans le monde entier à la chaîne : mes blagues, passé 180 km de Bruxelles, elles ne sont peut-être pas comprises. C’est pas grave; je suis très contente de déjà faire rire à 180 km de chez moi.
Vous n’avez jamais eu envie de partir tenter votre chance en France ?
Si, vers 40 ans. C’était une période où ça marchait très très fort ici et j’ai eu ce désir-là. Mais ça ne s’est pas fait. D’abord parce que j’étais terrorisée à l’idée d’avoir un producteur ou un manager car ce n’est pas ma nature. Et puis, il y avait des tas de trucs dont je parlais et qu’ils ne connaissaient pas et je n’avais absolument pas envie de les adapter. Et puis, surtout, j’avais deux enfants – que j’ai toujours (rire) (NdlR : les chanteurs Roméo Elvis et Angèle) – et ils me manquaient. Ça n’a pas été très douloureux. Je suis contente d’avoir essayé parce que je pense que si je ne l’avais pas fait, je l’aurais peut-être regretté.
Est-ce qu’après 25 ans de carrière, vous avez toujours cette même boule au ventre quand le rideau se lève ?
Heureusement, non. J’ai un peu le trac, mais moins j’en ai et mieux je me porte. Justement, après 25 ans, tu te dis : “merde quoi, je ne vais quand même pas avoir le trac”.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Un peu de tout. Plus c’est dans le privé, dans les vraies préoccupations, plus c’est intéressant parce que vous êtes honnête et que parfois, ça vous permet de répondre à des questions que vous vous posez.
Est-ce que vous mettez plus de choses de vous-même aujourd’hui dans vos spectacles qu’il y a 25 ans ?
Oui, mais c’est peut-être moins bien (rire). L’exercice même du stand-up est une espèce de prise de parole à la première personne. Mais ce qui m’amuse, c’est de mentir; je raconte des trucs vrais et faux et tout est censé être vrai. J’aime bien l’idée que les gens ne savent pas toujours faire la différence.
Sur scène, vous essayez que les gens oublient votre physique de grande brune ou vous en jouez ?
“Bravo Martine”, “Miss B”,… ou même quand je joue au théâtre, ce sont des personnages, ce n’est pas moi. J’aime bien me travestir, qu’on ne me reconnaisse pas. J’aime bien jouer un homme, une femme, un ado, une vieille,… J’aime bien l’idée de ne pas être toujours moi; ça m’emmerderait. Mais quand je suis ici en effet en stand-up et que je parle à la première personne, je joue avec ce que je suis.
Avez-vous d’autres projets ?
Oui ! En tout cas, je pense qu’avec l’âge, la scène devient une contrainte parce que ça demande de l’énergie et que, d’accord, je veux bien mourir sur scène, mais alors une fois, pas dans une série. Donc, si j’ai des projets, ils vont être adaptés à mon âge.
Où vous voyez-vous dans 20 ans ?
J’espère avoir des petits enfants; je fantasme à mort sur l’idée de tout ce que je vais pouvoir faire avec eux. C’est une perspective assez agréable parce que vieillir, ce n’est pas très agréable.
Vous parlez souvent de l’âge, cela vous préoccupe ?
Le nombre de gens de ma génération qui s’occupent de leurs parents ou les voient mourir ou alors ils sont morts ou on appréhende la mort ou on les accompagne. C’est absolument affreux ! Donc l’idée de vieillir me terrorise.
Mais l’espoir d’avoir des petits enfants vous apaise…
Oui, parce que j’ai encore quelques bonnes années avant d’être placée. Puis, la perspective de leur montrer mon tatouage m’amuse déjà…
Bio express
1990. Laurence Bibot écrit son premier solo, “La velue”. C’est aussi l’année où elle rencontre les Snuls. Elle passera cinq ans à leurs côtés à incarner “Miss Bricola”, assistante du “Professeur Décodeur” déguisée en Bunny.
1995. Elle écrit avec Nathalie Uffner “Bravo Martine”.
1998. Elle joue avec Nathalie Uffner et Soda “Les aventures du Dr Martin”, la première pièce de Marc Moulin.
1999. Elle crée, toujours avec Nathalie Uffner, son 3e solo : “Miss B”, plongée dans un concours de “Miss” qui tourne très mal.
Fin 99. Laurence Bibot et Marka s’associent pour la première fois dans “A nous deux” au Botanique. Il joue, elle chante. Un vrai défi.
2003. Laurence Bibot collabore à l’écriture de la pièce à sketches “Psy”. Elle participe aux “Jeux des dictionnaires” et à “La semaine infernale”.
2006. Bibot et Uffner écrivent “Capitaine Chantal”, où Laurence incarne sa mère décédée en 2004.
2009. Laurence Bibot joue dans “Cendrillon ce macho” et “Les monologues du vagin”.
2011. On retrouve Bibot derrière le micro de La Première pour présenter les “Cafés serrés”, chroniques mi-politiques mi-un peu de tout. Elle entame sa 5 e création commune avec Uffner pour “Sœurs Emmanuelle”.
2013. Bibot joue dans “Cia Cia Bambino” de Sébastien Ministru au TTO, mis en scène par Nathalie Uffner.
2014. Bibot écrit son premier stand-up “Bibot debout”, qui sera l’événement du Kings of Comedy Club, lieu dédié au genre.
Rire ensemble contre le racisme
Ce mardi 13 mars se tiendra l’édition 2018 de “Rire ensemble contre le racisme”. Une savoureuse brochette d’humoristes belges (Alex Vizorek, Pablo Andres, Guillermo Guiz, Kody, Laurence Bibot, Zidani, Walter,…), accompagnés d’artistes internationaux, se succéderont sur scène, seuls, en duo ou en trio, pour dénoncer, sans langue de bois et à coups de vannes et de punchlines, toutes les formes de discrimination.
Cette année, l’accent sera mis sur la discrimination à l’embauche, une forme d’exclusion très présente sur le marché de l’emploi belge. De fait, à Bruxelles, on dénombre 30 % de chômage chez les personnes d’origine étrangère, contre 10 % pour les Belges d’origine.
“Rire ensemble contre le racisme”, le 13 mars à 20h30 au Palais 12 de Bruxelles. Infos et rés. : www.palais12.com
Laurence Bibot est en tournée avec son stand-up “Bibot Distinguée” au Théâtre 140 à Schaerbeek le 24 avril (complet) et le 25 avril ainsi qu'au Théâtre de la Toison d'Or le 8 mai (complet) et du 12 au 29 septembre (02.510.05.10 – www.ttotheatre.com).
Retrouvez toute l’actualité de Laurence Bibot sur son site www.laurencebibot.be et sa page Facebook www.facebook.com/Laurencebibot/