La folle et riche saison d’Anne Teresa De Keersmaeker
Publié le 10-03-2018 à 09h18 - Mis à jour le 10-03-2018 à 09h20
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Mardi, recréation d’«Achterland», qui fut, en 1990, un moment clé de tout le parcours d’ATDK.
Cette année 2018 est bouillonnante pour Anne Teresa De Keersmaeker (ATDK) comme on le verra ci-dessous. Mais d’abord, son actualité immédiate est la recréation dès mardi à Bruges et ensuite en tournée européenne d’Achterland, chorégraphie de 1990 qui fut un moment clé dans tout le parcours de la chorégraphe.
C’était le dixième spectacle d’ATDK. Sur la scène faite d’un beau plancher en bois incliné, cinq femmes, trois hommes et deux musiciens: un pianiste jouant les 6 études pour piano de György Ligeti et un violoniste interprétant les sonates d’Eugène Ysaÿe.
Avec la reprise d’Achterland, ATDK poursuit son travail de reprise du répertoire par de jeunes danseurs formidables de Rosas, sa compagnie. On les avait déjà ovationné ces derniers mois pour les reprises-recréations de Rosas danst rosas, Rain, Love Supreme, La nuit transfigurée et Zeitigung.
« Achterland signifiait la fin d’une première période où je dansais moi-même et qui mêlait théâtre et chorégraphie, explique-t-elle, avec une forte présence de textes ou d’opéra. Il y avait trois nouveautés dans Achterland: d’abord, le retour à une écriture purement chorégraphique, un langage dansé en lien était avec la musique. Ensuite, l’apparition pour la première fois de musiciens sur la scène intégrés étroitement à la danse en interaction, en co-présence continuelle avec les danseurs. Et enfin la participation pour la première fois de danseurs hommes. Jusque là, il n’y avait eu que des danseuses. »
Virtuosité
Trois nouveautés qui seront décisives pour la suite du travail d’ATDK. Minimalisme et féminité, les mots de passe de ses premiers spectacles se transformaient alors lentement en brouillant les signes. En ce sens, (re)voir 27 ans plus tard Achterland éclaire toute la suite.
Au début d’Achterland, les écritures pour les hommes et les femmes sont parallèles : aux femmes, les études pour piano, aux hommes les sonates pour violon. « Jusqu’à Achterland, j’avais beaucoup développé le travail au sol, les chutes. Je testais le vocabulaire sur mon propre corps. Pour les femmes, j’ai repris dans Achterland, avec une rigueur accrue, le travail de Stella. Et les danseurs hommes, nouveaux pour moi, ont apporté leur vocabulaire comme l’a fait Vincent Dunoyer venu de chez Wim Vandekeybus. Dans le spectacle, peu à peu, les deux univers se mêlent, les hommes chez les femmes et les femmes chez les hommes et les vocabulaires s’inter-changent, jusqu’à échanger les costumes. »

La musique de Ligeti et d’Ysaÿe est virtuose, « en musique, les études sont faites pour aborder de nouveaux problèmes techniques », souligne ATDK. « La virtuosité est intéressante si elle n’est pas un but en soi. Curieusement, c’est une musique qui peut s’orner de couleurs tout à fait romantiques évoquant parfois Chopin. Cette virtuosité incroyable de la musique trouve son équivalent chez les danseurs. Il fallait isoler certaines zones spécifiques du corps pour répondre aux tempos d’enfer. Et ce fut par exemple les mouvements de hanches de Vincent Dunoyer transmis à une danseuse. » Tout un composé d'élans virtuoses et de décélérations.
Concertos brandebourgeois
La reprise peu à peu du répertoire d’ATDK par de jeunes danseurs (déjà 6 « recréations ») rencontre un énorme succès à chaque fois. « Cela pose la question de la transmission de la danse et crée une grande pression sur la compagnie dont les moyens sont limités. »
Car Achterland n’est pas la seule actualité de 2018, loin de là. Tout ce début d’année, la ville de Luxembourg avec la Philharmonie, le Mudam transformé en lieu de performance, et le Grand Théâtre, fête la chorégraphe avec cinq spectacles dans le cadre du "Red Bridge Project ». En en septembre, ce sera Paris et son grand Festival d’automne. qui placera cette année ATDK au centre de l’événement en lui consacrant un « portrait »: dix spectacles d’elle et 50 représentations. Un record sans doute dans l’histoire de la compagnie Rosas.
Mais le moment le plus important sera le 12 septembre à la Volksbühne de Berlin dirigée par Chris Dercon, la création d’un nouveau spectacle sur les Concertos brandebourgeois de Bach. Bach est, on le sait, le musicien fétiche d’ATDK. On l’a vu en 2017 avec ce grand moment de grâce et de beauté que fut sa création sur les six suites pour violoncelle. A Berlin, il y aura sur scène l’orchestre baroque B’Rock et 16 danseurs, une énorme production qui ira de suite après à New York et arrivera à la Monnaie à Bruxelles dans le cadre d’une tournée européenne.
Achterland, au Concertgebouw à Bruges les 13 et 14 mars, puis en tournée, dont, du 12 au 15 mai, au Kaaitheater, à Bruxelles, avec la Monnaie.