"Caligula", empereur kamikaze, à Villers-la-Ville
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Publié le 12-07-2018 à 07h53 - Mis à jour le 12-07-2018 à 13h24
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A quelques jours de l’avant-première, le 17 juillet, les préparatifs du spectacle "Caligula" d’Albert Camus dans l’écrin de l’abbaye de Villers-la-Ville vont bon train.
"Fin juin, les équipes étaient occupées à construire le décor, puisque tout est fait sur mesure, tandis qu’ici (NdlR : à Bruxelles), les comédiens répétaient encore dans quelque chose de tout à fait abstrait, indique Patrick de Longrée, producteur (DEL Diffusion Villers) et scénographe, mais depuis début juillet, ils répètent à Villers dans le décor construit."
Cela fait "très longtemps que je rêve de Villers-la-Ville", confie Georges Lini, metteur en scène de "Caligula" et fondateur de la compagnie Belle de Nuit. "J’étais à la recherche de textes à proposer parce que c’est un lieu magique et qu’il faut un texte à la hauteur. J’ai donc replongé dans certains classiques. Et, tout naturellement, quand j’ai lu ‘Caligula’, je me suis dit que c’était l’œuvre idéale, parce qu’elle peut être taxée de classique, quoi qu’elle ne soit pas si vieille que ça. Mais ce qui est intéressant, c’est qu’elle ne soit pas du tout démodée. Donc, il y a la grandeur du texte et puis le propos, qui résonne malheureusement à l’heure actuelle. Donc je trouvais que c’était un peu joindre l’utile à l’agréable que de proposer ça" aux producteurs Patrick de Longrée et Rinus Vanelslander.
"On a fait le choix de la diversité"
Une proposition qui a d’abord suscité quelques interrogations, avant de devenir le 32e spectacle théâtral d’été accueilli dans les ruines de Villers-la-Ville, du 17 juillet au 11 août. "C’est une bonne pièce, un bon titre, qui entre dans la lignée de ce qu’on a pu faire à Villers, où on est passés d’adaptations d’œuvres romanesques à du théâtre épique, du texte de théâtre de répertoire, explique Patrick de Longrée. ‘Caligula’ est plutôt un texte moderne, très proche de nous. Donc, au niveau de la diversité, ‘Caligula’ répondait à nos critères, où on aime bien alterner des choses plus légères avec des choses un peu plus profondes et denses". Et le producteur de reconnaître : "Mais il est vrai aussi que ces derniers temps, nous avions été vers un théâtre plus ouvertement populaire et donc, quand Georges [Lini] nous a interpellés avec cette proposition, cela nous a remis face à nos responsabilités de programmateurs : au cours de ces 30 années, on a fait le choix de la diversité, donc il faut qu’on l’assume. Et il n’y a pas de soucis, même si parfois cela nous fait un peu peur de bousculer les habitudes des spectateurs. Georges est arrivé avec le bon projet au bon moment - cela fait déjà deux-trois ans car à Villers, on prépare les spectacles très longtemps à l’avance."
Une pièce vibrante d’actualité
Esquissée par Albert Camus en 1937, la pièce est créée en 1945 au théâtre Hébertot à Paris (lire p. 44). Précurseur de la montée du nazisme et de l’abomination de la Seconde Guerre mondiale, elle est, aujourd’hui, toujours aussi vibrante d’actualité. "C’est terrible ! Quand on relit ses grands classiques - Molière, Schakespeare, Racine… - on se rend compte que rien n’a changé, qu’il y a peu d’évolutions dans notre société, déplore Georges Lini. Un des thèmes principaux de ‘Caligula’ est la passivité : Caligula est un empereur qui veut l’absolu, renonce à ses limites en tant qu’homme; il n’accepte pas d’être le seul à avoir conscience de ses limites et il pousse les gens à la révolte. C’est une quête un peu suicidaire. Il ne sera libéré de son fardeau que quand la classe dirigeante et le peuple auront le courage de prendre les armes et de se révolter". Or, pour le metteur en scène, aujourd’hui, "on est en plein là-dedans : on n’est plus révolté; parce qu’on met des posts sur Facebook, on croit qu’on fait la révolution. C’est effrayant ! On est rattrapé par l’actualité : tout ce qui se passe, l’horreur du monde, jusqu’où allons-nous aller pour accepter tout ce qui se passe ? Et c’est de ça dont parle la pièce". Patrick de Longrée confirme : "Cette pièce est de plain-pied dans l’actualité, surtout quand on voit certains tyrans qui nous gouvernent - Erdogan, Trump… Les spectateurs vont être sidérés de voir l’actualité de ce qui est écrit là".
Eviter le sentiment de déjà-vu
Si la pièce de Camus est ancrée dans la Rome antique, le spectacle présenté à Villers, en revanche, "ne sera pas un péplum", assurent Patrick de Longrée et Georges Lini. "Quand on s’attaque à des classiques, explique ce dernier, on essaie toujours avec ma compagnie d’avoir un point de vue décalé pour éviter le sentiment de déja-vu. C’est donc un travail de mise en scène, de scénographie, de points de vue, de modernité dans les moyens. Je trouve que le contraste peut vraiment être détonnant entre la modernité dans le fond et dans la forme et ce mariage avec les ruines." De la modernité ? "Le théâtre contemporain, c’est le rapport au public, souligne-t-il encore, que le public se sente concerné, qu’il réfléchisse pendant la représentation. Le spectateur est un partenaire, un participant actif et non un voyeur passif."
Dans le même temps, pointe Patrick de Longrée, "certes le texte est dense, mais il est contrebalancé par plein de ballons d’oxygène". "C’est un spectacle très ludique, insiste Georges Lini, car ce qui est important c’est la beauté. Notre travail d’artistes, c’est aussi de transcender l’horreur du monde en beauté. Il y aura de la musique, de la danse, des décors…"
Des moyens humains et financiers
Et puis, le cadre, exceptionnel, de l’abbaye de Villers-la-Ville, dans lequel le public est totalement immergé, puisqu’il sera convié à se déplacer pendant le spectacle. "La déambulation des spectateurs est l’un des concepts de base des spectacles à Villers", précise le scénographe. "Pour le public, les comédiens et le metteur en scène, c’est une expérience unique", se félicite Georges Lini.
Une expérience qui requiert de gros moyens, humains - "50 personnes travaillent chaque soir de représentation", indique Patrick de Longrée - et financiers - le budget s’élève à 850 000 euros. Et pour laquelle les spectateurs "sont prêts à mettre le prix : 36 euros. Nous leur sommes reconnaissants car ce sont eux qui maintiennent les productions de Villers en vie".