Pourvu que "#VU" soit vu par tous les adolescents
- Publié le 23-08-2018 à 10h13
- Mis à jour le 23-08-2018 à 13h44
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Aux Rencontres de Huy, une création poignante et puissante sur le cyberharcèlement à l’école. Première gifle aux Rencontres de Huy, nécessaire et salutaire, main qui griffe et puis caresse, dénonce en cris, chuchotements et slam la question du cyberharcèlement à l’école, et de ses redoutables conséquences. L’on ressort complètement secoué de la nouvelle création des Arts nomades. Plein d’espoir, aussi. Pourvu que "#VU" soit vu par tous les adolescents !
Qu’un tel phénomène soit abordé en théâtre jeune public, toujours en prise avec l’actualité, n’est guère étonnant. La démarche n’en est pas moins importante, et surtout aboutie, lorsqu’elle émane de Mattias De Paep, auteur et metteur en scène, et d’Andreas Christou, metteur en scène et traducteur.
Ensemble, ils évitent l’écueil de la vulgarité, de l’outrance, pour entrer en nuance dans le cœur de l’adolescente, émouvante et puissante Julie Carroll, victime de harcèlement. Un cœur caché sous des seins qu’elle a envoyés par amour et par sexto à son prétendant, sans se douter qu’ils seraient jetés en pâture sur les réseaux sociaux.
Tout a commencé par un simple pari. Bien fringués, sûrs de leurs coups, les gars branchés du lycée jaugent les filles de la classe. Puis, lancent les paris. La fin, dès lors, justifie les moyens. Lucas mène une cour effrénée à la victime toute désignée, Lisa et ses gros "nibards". De chat en chat, la relation, virtuelle, s’intensifie.
"Lisa, dit la chanson, c’est pas la star de l’école, Elle est pas vraiment belle, Pas vraiment laide non plus. Lisa, personne ne la regarde. Lisa, elle a jamais embrassé un garçon…" Alors, quand Lucas s’intéresse à elle, elle tombe dans le piège, vibre de plus en plus et n’hésite pas à lui envoyer le sexto demandé. #Welcome share… C’est parti !
Machine de guerre
Le lendemain, en classe, les premières notifications tintent. Message sur le banc de devant, de droite, de gauche… Les rires fusent, les visages se retournent. Lisa ne tarde pas à comprendre. Ses "airbags" s’affichent déjà sur Porngram, sa poitrine apparaît en taille réelle sur le mur de l’école. L’attroupement. La honte. La colère et l’inquiétude des parents. La promesse du directeur d’intervenir, mais l’étonnement qu’elle ait fait preuve de tant de naïveté.
La machine de guerre s’est mise en route. Les encouragements au suicide via les réseaux aussi.
La narration se déroule lors d’une soirée de retrouvailles à laquelle Lisa déboule sans avoir été conviée. Elle sème d’emblée le trouble, alterne entre présent et passé, vient enfin régler ses comptes.
Tendu de bout en bout, servi par une comédienne d’une grande justesse, accompagnée sur le plateau par Vincent Cuignet aux percussions dont les notes, à la batterie ou au xylophone, ponctuent le récit, l’orientent et l’aiguillonnent. Le musicien crée une atmosphère, convoque un nouveau personnage, commente l’histoire. Ou inversement. Une vraie complicité unit les deux artistes, dans les mots comme dans les silences, au creux de cette écriture métaphorique qui prouve combien la poésie peut aussi traduire la violence.
La compagnie des Arts nomades anime en outre, à la demande, des débats à l’issue de la représentation. Un prolongement qui intéressera sans doute de nombreux professeurs. Le sexting et ses commentaires graveleux touchent souvent des adolescents en questionnement et peuvent entraîner des problèmes psychologiques et identitaires graves. En 2015, Child Focus, partenaire du projet, avait reçu 62 demandes d’aides relatives au sexting contre 41 en 2014. Les jeunes concernés ont entre 13 ou 14 ans.