Le choc de Fase ou l'échappée belge
Publié le 09-11-2018 à 09h41
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36 ans après sa création, Anne Teresa De Keersmaeker transmet « Fase » à de jeunes danseuses.
Ce fut jeudi soir, un grand moment d’émotion dans la salle de Rosas, la compagnie d’Anne Teresa De Keersmaeker àBruxelles. On y redonnait Fase mais cette fois dansé par deux jeunes danseuses et non plus par ATDK. Fase est pourtant sa pièce fétiche, originelle, qui donna d’emblée les clés de son parcours futur. En 36 ans, elle l’a dansé des centaines de fois, y tenant comme Pina Bausch voulut toute sa vie danser encore Café Müller qui lança le Tanztheater.
Si pour elle, ce fut un deuil à faire, ATDK estimait qu’il était temps de transmettre sa chorégraphie à de jeunes et magnifiques danseuses comme elle l’a déjà fait avec d’autres pièces anciennes.
Fase fut créé le 18 mars 1982 au Beursschouwburg àBruxelles. ATDK rentrait de New York où elle avait travailléun an. Elle n’avait que 21 ans et cette production dansée par elle et Michèle-Anne De Mey, fit l’effet d’une bombe. Ce fut en Belgique, le vrai début de la danse contemporaine et de ce qu’on a appelé la « vague flamande » du théâtre et de la danse. Très vite, Fase tourna partout, et fut invité en 1983 au Festival d’Avignon où Libé titra: « L’Echappée belge ».
Fase est composé de quatre parties, toutes basées sur la musique répétitive du compositeur minimaliste américain Steve Reich: Piano Phase, Comme Out, Violin Phase et Clapping Music. Ce sont chaque fois de courtes séquences musicales répétées sans cesse tout en se modifiant peu àpeu.

Tourner, sauter
Dans Piano Phase, deux danseuses parfaitement synchronisées tournent sur leur propre axe avec des mouvements pendulaires. Mouvements répétés mais jamais identiques, avec d’invisibles décalages. Parfois, elles se déphasent l’une par rapport à l’autre. D’emblée,ATDK a montré qu’on peut allier une rigueur mathématique et combinatoire, abstraite, avec une forte émotion. Elle compare l’exercice mental exigé par l’exécution de cette danse « à la méditation, une fois que la machine est lancée, le déroulement est inexorable. Des mouvements qui rappellent les premiers mouvements que font les enfants : tourner, sauter, tourner les mains. »
Quand la danseuse tourne indéfiniment dans le solo Violin Phase, « elle ne dissimule ni la douleur ni le plaisir dans cette lutte pour déployer des mouvements précis et complexes sur une longue durée ». Dans Comme out, les deux danseuses décrivent encre des cercles mais restent collées à leurs chaises. Dans Clapping Music, elles semblent avancer sans bouger.
D’emblée, ATDK montrait son lien profond avec la musique mais jamais mimétique. La musique structure le temps et la danse structure l’espace.
Si ensuite l’art d’ATDK a considérablement évolué et varié, on le retrouve déjà en germe dans cette oeuvre d’une toute jeune femme.
Pour cette recréation elle a chose deux duos de jeunes danseuses. Jeudi, c’état Yuika Hashimoto et Laura Maria Poletti. En alternance, il y a Laura Bachman et Soa Ratsifandrihana. Chacune dansant avec sa sensibilité carFase n’est pas qu’un épuisant et très difficile exercice physique et de mémoire, c’est aussi un spectacle d’où émerge des sentiments profonds. Le travail des danseuses est sur ce fil étroit entre formalisme strict et expression de « l’âme ».
Les toutes petites erreurs jeudi soir étaient les bienvenues pour rappeler que l’exercice est d’une très grande difficultéet que Fase reste d’une radicalité déconcertante qui n’empêche jamais l’émotion.
Fase, Four Movements to the Music of Steve Reich, Rosas Performance Space, Bruxelles, jusqu’au 25 novembre.www.rosas.be. Le Fonds Mercator édite à cette occasion une magnifique livres de photographies sur les dix dernières années de Rosas: « Anne Teresa De Keersmaeker: Rosas 2007 - 2017"