Forte tempête au milieu du crâne

Très belle et forte mise en scène, par Antoine Laubin, du récit que Patrick Declerck fit de l’extraction de sa tumeur au cerveau.

Forte tempête au milieu du crâne
©Beata Szparagowska

Très belle et forte mise en scène, par Antoine Laubin, du récit que Patrick Declerck fit de l’extraction de sa tumeur au cerveau. 

C’était une gageure et Antoine Laubin, le metteur en scène, l’a vaincue : porter à la scène le récit précis, intérieur, bouleversant, de l’opération que l’écrivain Patrick Declerck a connue le 27 mars 2013. Dans un hôpital du sud de la France, on lui a enlevé une tumeur au cerveau près des zones du langage, avec une méthode étonnante de chirurgie éveillée.

Crâne (Gallimard) est le récit d’une reconstruction à l’hôpital comme Philippe Lançon le fit avec Le Lambeau. Patrick Declerck raconte chaque moment, avant, pendant et après l’opération. Dans une langue précise, mais avec aussi le poids des sentiments qui se bousculèrent alors dans sa tête. Pour un écrivain, philosophe, être touché ainsi au centre de ce qui est sa vie était une fin du monde.

Ce récit quasi immobile, qui se déroule essentiellement dans la conscience de Patrick Declerck, est repris par trois narrateurs (un pour avant, le second pendant, le troisième après l’opération). Ils sont joués par Jérôme Nayer, Hervé Piron et Renaud Van Camp. Antoine Laubin lui-même joue le chirurgien. L’idée maîtresse a été de séparer la narration du corps de Patrick Declerck, représenté sur scène par la présence forte et le plus souvent silencieuse de Philippe Jeusette. Par de simples mimiques ou des répliques cyniques, ce dernier exprime les défenses dérisoires avec lesquelles Patrick Declerck cherche à tenir l’impensable à distance. Dans la scène stupéfiante de l’opération, seule la tête du comédien émerge d’un caisson comme une tête coupée. Sa présence constante et quasi mutique permet aux spectateurs de projeter sur lui leurs propres émotions.

Réciter du Shakespeare

C’est un théâtre de texte littéraire mais devenu vivant, qui reprend à l’identique de longs passages du récit. On y retrouve l’importance de la culture qui seule parvient à mettre des mots sur l’indicible. Patrick Declerck récitait du Shakespeare à la fin de son opération. La pièce montre les sentiments qui font irruption: celui de toucher, si près de la mort, « à la réalité réelle du réel », la volonté de rester droit face à sa fin possible, de refuser de survivre si on ne peut plus vivre. Un vrai chien est sur scène, comme le chien de Patrick Declerck, symbole de l’amour inconditionnel et fragile.

Hervé Piron, Jérôme Nayer et Renaud Van Camp, trois voix, trois visages pour Patrick Declerck.
Hervé Piron, Jérôme Nayer et Renaud Van Camp, trois voix, trois visages pour Patrick Declerck. ©Beata Szparabowska

Il est un miraculé, un survivant passé par l’enfer de garder sa conscience tout en perdant pendant des semaines ses mots, sa parole et son écriture. Trois ans plus tard, rétabli, il pense désormais sans cesse à la mort, il n’est « plus à lui-même que sa propre illusion » et la mélancolie est devenue sa manière d’être. Mais il est redevenu écrivain. L’essentiel pour lui.


Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...