Entre humour et légèreté, le Cirque Plume s'offre un dernier envol
Une page du cirque se tourne. Plume, qui a réinventé le cirque, arrive à Louvain-la-Neuve dans le cadre de sa tournée d’adieu. Une "Dernière Saison" sylvestre et onirique. Critique et entretien.
Publié le 15-04-2019 à 18h30 - Mis à jour le 15-04-2019 à 21h14
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Une page du cirque se tourne. Plume, qui a réinventé le cirque, arrive à Louvain-la-Neuve dans le cadre de sa tournée d’adieu. Une "Dernière Saison" sylvestre et onirique. Critique et entretien.Trente-trois ans après Amour, jonglages et falbalas, le Cirque Plume, qui a marqué tant d’imaginaires, enflammé tant de familles, influencé tant d’artistes, et planté son chapiteau dans tellement de villes, de campagnes, de villages ou de hameaux, a décidé de plier la toile. Finies les folles aventures, la vie de troupe, la famille élargie, les rencontres avec les gens de tous bords et de tous pays. L’heure a sonné. Le temps a passé. En plus de trente ans, le cirque a connu des mariages, des naissances, des tragédies, des hauts, des bas, des hauts surtout comme ces artistes aux ailes d’ange s’envolant sous chapiteau sur un air de rock. Toujours présente sur scène, la musique joue un rôle prépondérant dans les créations de celui qui, en Europe, a réinventé le cirque, comme l’a fait, de l’autre côté de l’Atlantique, et de manière nettement plus américaine, le Cirque du Soleil.
En toute logique, c’est à la Villette, haut lieu du cirque contemporain, qui l’a accueilli plusieurs fois, que le Cirque Plume entame sa tournée d’adieu. Il y a donc planté son célèbre chapiteau frontal, capable d’accueillir un bon millier de personnes. Trois mois de représentations à bureaux fermés avant de poursuivre une tournée, qui fera escale à Louvain-la-Neuve, au mois de mai, en collaboration avec le Théâtre de Namur et l’Atelier Théâtre Jean Vilar. La dernière chance donc, de revoir ou de découvrir celui qui n’a jamais vendu son âme au diable et qui, pour sa Dernière Saison, a surtout voulu offrir poésie et légèreté. En toute simplicité, fraternité et sans nostalgie. Un spectacle léger comme un vol de freux sur un champ de blé, un souffle d’espoir et de souvenirs. Que l’on égrène avec Bernard Kudlak.
Fils d’un immigré polonais, arrivé en France en 1914-1918, et d’une Franc-comtoise pure souche, le fondateur du Cirque Plume, avec son frère Pierre, et sept autres personnes, s’attendait à suivre le chemin paternel jusqu’à la découverte du film Andreï Roublev d’Andreï Tarkovski, qui changera son destin. S’en suivra, en 1984, la naissance du Cirque Plume et en 1986, le début d’une incroyable aventure qui n’aura cessé, trente-cinq ans durant, de flirter avec le succès tant le langage nouveau de ce cirque-là, son rapport à la poésie, à la nostalgie, à l’éphémère, à la fragilité, au risque et à l’authenticité ont touché les innombrables spectateurs d’Amour, jonglage et falbalas (1986), de No Anima Mas Anima (1991), de Récréation (2002), de Plic Ploc ( 2004 ) ou encore de Tempus fugit ? Une ballade sur le chemin perdu (2013). Autant de vrais moments de bonheur et de douceur, à l’image de Bernard Kudlak, qui s’apprêtent à quitter la scène.
Pourquoi cette "Dernière Saison" ?
À cause d’un truc complètement dingue qu’on n’avait pas prévu… C’est qu’on vieillit. Notre génération de la parenthèse enchantée pense qu’elle est éternelle. Et puis, comme toujours, on a préféré choisir plutôt que subir.
Pourquoi n’avez-vous pas envisagé la transmission plutôt que la disparition ?
C’est une aventure tellement incroyable. On fait un travail de funambule depuis trente-cinq ans. On est en équilibre, on ne peut pas mettre un pied de côté. La vue est très belle de là-haut, mais la troupe compte 40 employés. On n’a pas de marge. Nous avons été en équilibre, toujours bien posés sur nos cannes. C’est difficile à transmettre. On ne va pas perdre notre âme pour avoir des sous. On est dans un monde de l’illusion, qui ne supporte pas la finitude, qui vend une jeunesse éternelle, un monde de commerce sans arrêt, sans mort.
Peut-être est-il difficile de trouver de nos jours des personnes qui auraient en elles l’esprit si singulier du Cirque Plume ?
J’aurais tendance à penser que cet esprit-là, avec l’urgence climatique, la destruction de la Terre, une autre conscience, moins consumériste, est en train de renaître. Je trouve la jeunesse actuelle formidable. La question d’une transmission est économique. Nous devons remplir nos salles à 100 % pour tourner correctement. On ne s’en est pas servi pour devenir milliardaires mais pour avoir une bonne vie. C’est important.
Avez-vous des regrets ?
Pas de regret. Sinon celui, plus général, et personnel, de n’avoir en rien influencé la destruction du monde et de la biodiversité. À part cela, on a eu une chance incroyable. On a posé quelque chose, on l’a fait, avec une certaine éthique, des valeurs, une bonne entente entre nous.
Comment expliquez-vous votre succès ?
Peut-être au fait d’être ancré dans les mythologies, les légendes, c’est un art branché sur une poésie particulière, et non pas en permanence sur une connaissance exprimée. En lisant Mircea Eliade, fondateur de l’histoire moderne des religions, j’ai eu l’intuition de comprendre ce qu’était le cirque. Il comparait les cabanes sacrées autour du monde et décrit un cercle qui figure le temps immédiat, ce temps immobile à l’intérieur duquel un mât soutient un ciel étoilé. Dans cette cabane, on joue la cosmogonie. Si ce n’est pas du cirque, qu’est-ce ? Voilà l’idée de fond de nos spectacles. Nous parlions aussi, en vrai, de la possibilité de la joie d’être ensemble. On a fait de la musique, on a monté des spectacles, on a gardé notre fragilité et notre poésie.
Vous devez votre vocation à une révélation artistique, la découverte du film "Andreï Roublev"…
Oui, c’est étonnant. J’étais en classe de seconde avec des collègues qui foutaient un bordel incroyable. Peut-être que l’adolescent que j’étais attendait cela. Je n’avais gardé qu’une impression que quelque chose existait jusqu’à ce que je revoie le même film, quelques années plus tard. Là, j’ai su que le chemin de l’art était possible. Je venais d’un milieu populaire, mais il y avait toujours de la culture chez nous, des livres et la Bible. On allait au cinéma.
Vous avez entamé votre dernière tournée à la Villette, avec trois mois de représentations qui ont comblé 62 000 spectateurs. Vous arrivez à Louvain-la-Neuve pour dix représentations déjà complètes. Vous avez des liens particuliers avec notre pays. Peut-on espérer une nouvelle série ?
Je ne peux pas répondre à cette question… J’ai en effet plein d’amis en Belgique. Au Théâtre de Namur, nous avons parfois fait des séries de 24 représentations. Notre tournée d’adieu s’achèvera en décembre 2020, dans notre région.
Vous êtes à l’origine du renouveau du cirque en Europe. Que pensez-vous du cirque contemporain, aujourd’hui ?
C’est formidable d’avoir fait quelque chose à notre mesure. Nous ne sommes pas la cause de tout cela, mais on a mis un premier pas dans cette histoire incroyable.

Un adieu tout en légèreté
En toile de fond, et pour marquer le temps qui passe, un fusain de Charles Belle, une œuvre monumentale de huit mètres sur trois, créée fin 2015, au cœur de la forêt de Rochejean, dans le Doubs, cette région d’où nous vient l’incomparable accent de Bernard Kudlak. La toile est restée sur place, tendue entre deux arbres, pendant sept saisons, soit 608 jours et 20 pleines lunes, avant de rejoindre les forêts oniriques du Cirque Plume. L’artiste y a observé les ravages et bonheurs du temps. Épurée et puissante, cette toile, presque trop peu présente, émouvante par ce qu’elle raconte, séduit par sa beauté et par le dialogue qu’elle entreprend avec l’arbre dénudé, planté sur scène, ou la lune rousse, qui surgit à l’image des rondeurs aimées de la compagnie. Feuilles d’automne ou fleurs de printemps, de plastique ou de papier, toutes les saisons défilent et s’envolent sous une averse de parapluies colorés, à l’image de l’univers du Cirque Plume. Les scènes se succèdent comme les jours et les ères qui passent, de l’Homo sapiens à l’Homo erectus, du Petit Chaperon rouge à Arcimboldo, du dompteur d’animaux sauvages à la remarquable fildefériste qui, au rythme des musiques alors plus rock de Benoît Schick, virevolte sur son fil avec, pour seule béquille, cet éventail qu’elle balance dans les airs. Alternent aussi les scènes burlesques et battles d’acrobaties, à la manière d’une jam session.
Oser se dénuder
En sous-texte, les références se multiplient et les parodies du cirque traditionnel se chevauchent, du clown mimant le pas espagnol d’un cheval hennissant à celui qui bande ses muscles et bombe le ventre pour extrapoler les dégâts du temps, au lieu de les gommer, comme le tente si souvent notre société. Oser se dénuder après un certain âge, assumer ce que nous sommes appelés à devenir, et cajoler cette enveloppe charnelle qui en a bien besoin, voilà aussi ce que nous raconte, l’air de rien, cette Plume dont le destin reste de s’envoler. À moins qu’elle ne serve aussi à écrire l’histoire du cirque.
Infos pratiques sur le spectacle
Où : à Aula Magna, avec L’Atelier Théâtre Jean Vilar (Louvain-la-Neuve) et le Centre culturel de Namur.
Quand : du 9 au 19 mai. Complet. Uniquement sur liste d’attente. Dès 5 ans.
Informations/réservations : www.atjv.be Tél. 0800.25.325 et centrecultureldenamur.be Tél. +32.81.226.026.