La fraîcheur de Mélisande illumine la forêt d’Avignon
Superbe reprise contemporaine, au Festival d’Avignon, du "Pelléas et Mélisande" de Maeterlinck.
Publié le 11-07-2019 à 09h28 - Mis à jour le 11-07-2019 à 19h40
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Superbe reprise contemporaine, au Festival d’Avignon, du "Pelléas et Mélisande" de Maeterlinck.
Une semaine après le début du Festival d’Avignon, force est de constater qu’il y eut jusqu’ici plus de déceptions que de moments remarquables. Il est bien sûr trop tôt pour un bilan, mais il sera bon de se demander si Avignon conserve toute sa place à l’avant du théâtre, comme créateur de moments forts. Ou s’il faut les chercher plutôt du côté d’un Milo Rau au NTGent ou d’un Castellucci qui fait encore l’événement avec son Requiem de Mozart à Aix.
Parmi les bonnes surprises, il y eut Le Présent qui déborde de Christiane Jatahy et, maintenant, Pelléas et Mélisande de Maeterlinck (1862-1949) mis en scène par la jeune Julie Duclos, un petit joyau.
Rien a priori n’indiquait qu’une reprise de ce grand classique de l’écrivain symboliste belge trouverait ainsi sa place dans un festival de théâtre contemporain. On pouvait craindre l’âge d’un texte difficile à jouer et monter sans académisme. Il n’en est rien. Passionnante, cette version qui respecte intégralement le texte de Maeterlinck lui donne une actualité et une grande beauté.
Ce petit miracle est d’abord dû à l’interprétation des acteurs et en particulier de Mélisande par la fraîcheur d’Alix Riemer. Comme les autres comédiens, elle ne (dé)clame pas son texte, mais le dit de manière simple, vraie, palpitante à l’image de ce qui doit jaillir de Mélisande.
Mélisande est trouvée par le prince Golaud (Vincent Dissez, parfait) au milieu de la forêt. Elle est abandonnée, seule, tombée d’on ne sait où. "C’était un pauvre petit être mystérieux, comme tout le monde…", dit Maeterlinck. Sans doute vient-elle du pays de la jeunesse et de l’espoir ? Golaud l’emmène au château où règnent la vieillesse et la mort, entouré de souterrains, de bois épais et d’une grotte dangereuse.
"Si j’étais Dieu, j’aurais pitié du cœur des hommes…", écrit encore Maeterlinck, car, mariée à Golaud, Mélisande tombe amoureuse de son frère Pelléas (Matthieu Sampeur). Un amour interdit.
Hammershøi
Au château règne encore le bienveillant roi Arkel (l’excellent Philippe Duclos) qui dit : "Je suis très vieux, et cependant je ne suis pas encore parvenu à voir clair en moi-même."
Le drame est inscrit dès le début de l’histoire : la complexité de l’âme humaine s’oppose à l’innocence de Mélisande, à cette petite étoile tombée du ciel. Vincent Dissez rend parfaitement, sans excès, cette jalousie paranoïaque qui s’empare peu à peu de Golaud et qui précipite tout le monde vers le malheur. "On se trompe toujours lorsqu’on ne ferme pas les yeux pour pardonner ou pour mieux regarder en soi-même."
La seconde clé de cette réussite est la mise en scène qui insère parfaitement le cinéma, quand nécessaire, aux plateaux sur lesquels jouent les acteurs. Films poétiques qui nous plongent dans la forêt ou le long de la mer, sur le chemin où se risquent Pelléas et Mélisande.
Les lumières, la scénographie, les décors ajoutent encore une touche de beauté immobile. Un exemple : pour montrer la lumière du soleil levant ou couchant qui pénètre dans le château, la scénographie reprend presque à l’identique les tableaux de Vilhelm Hammershøi (1864-1916) dont le Musée Jacquemart-André, à Paris, présente une rétrospective jusqu’au 22 juillet. Ce Vermeer danois du début du XXe siècle - avec ses œuvres à l’atmosphère irréelle, dénuées de toute anecdote, évoquant le vide - reste moderne, car il est hors du temps, des modes, des remous de la modernité. Rilke, qui le rencontra à Copenhague, disait : "Son œuvre offre de multiples raisons de parler de ce qui est important et essentiel en art."
Et c’est le dernier petit miracle de ce Pelléas et Mélisande. Loin de l’académisme craint, Julie Duclos en fait une œuvre hors du temps et donc aussi très actuelle. Œuvre qui rappelle indirectement, comme tout à Avignon, les migrants qui surgissent tels des Mélisande, mais plus largement une pièce qui évoque l’indicible de l’âme humaine, cette envie irrépressible d’amour qui nous habite dans un monde inconnu devenu oppressant comme la forêt de Golaud.
- Festival d’Avignon, jusqu’au 23 juillet.