Fabrizio Rongione: "L’histoire du peuple, de la vie quotidienne, on ne nous l’enseigne jamais. Ça manque de chair et de recul"
Fabrizio Rongione renoue avec le seul en scène au TTO. Dans Homo Sapiens, il met l’Histoire en perspective.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/773f294d-56c4-4d07-acee-8ef7063dead9.png)
Publié le 23-10-2019 à 19h24
Dix ans après son dernier seul en scène (On vit peu mais on ne meurt jamais en 2009, après À genoux en 2002), l’homme de cinéma, de télévision et de théâtre Fabrizio Rongione renoue avec l’humour sur les planches du Théâtre de la Toison d’Or (TTO) dans Homo Sapiens, mis en scène par son fidèle comparse, le réalisateur Samuel Tilman.
Dix ans, c’est long tout de même, non ? “Dix ans ! Ah, oui, effectivement…, réalise, un peu étonné, Fabrizio Rongione. En fait, c’est toujours compliqué de gérer le cinéma et le théâtre ensemble. Et ce, pour une raison assez simple : quand on vous engage pour un film, ça peut arriver quatre jours avant, ce qui n’était pas le cas quand j’ai commencé il y a vingt ans (NdlR : avec Rosetta des frères Dardenne, Palme d’or en 1999), tandis que quand vous préparez un spectacle, c’est pour la saison d’après. Si vous avez décidé de jouer en janvier-février et qu’au mois de décembre, on vous propose un film pour janvier, et bien, du coup, vous êtes bloqué. J’ai joué en mars dernier La Vénus à la fourrure au Public, mais ça faisait quatre ans que je n’étais plus monté sur scène à cause de ça justement”. Mais l’humour, faire rire, “ça m’a toujours manqué”.
Des désirs de cabaret aux Dardenne
Né en 1973 à Bruxelles de parents italiens, Fabrizio Rongione se décrit comme un enfant “plutôt renfermé et timide” ; “je n’avais pas beaucoup de copains”. En revanche, “je me destinais à faire du comique, du cabaret, à une carrière un peu à la Woody Allen”. “L’envie de faire rire, c’est quelque chose qu’on a en soi : vous l’avez ou pas.” C’est adolescent que cette envie se révèle : “Je voyais beaucoup de spectacles sur la Raï et je regardais de vieux films italiens, ceux de Risi, De Sica, Monicelli,…, toute la grande comédie italienne. J’ai compris qu’on pouvait faire rire sur des sujets dramatiques (la guerre, la pauvreté,…) et ça m’a donné envie”. Mais une rencontre va changer le cours de sa vie et de sa carrière, celle des réalisateurs Jean-Pierre et Luc Dardenne, qui le propulsent, très tôt, à 26 ans, sur le devant de la scène cinématographique.
À cette époque, il a déjà monté un premier spectacle à sketches, Les fléaux, avec son ami de toujours Samuel Tilman, rencontré sur les bancs de l’université. “Ça c’était tellement bien passé que c’est ça qui m’a décidé à devenir comédien”, sourit Fabrizio Rongione. Inscrits en cursus d’Histoire, Samuel Tilman en sortira avec un doctorat tandis que Fabrizio Rongione s’orientera après deux ans vers le Conservatoire.
“Convoquer l'Histoire, ça calme”
C’est avec la directrice artistique du TTO, Nathalie Uffner, qu’il décide de créer un seul en scène autour de l’Histoire. Vaste sujet… Mais “on a essayé de faire hyper simple, on n’a pas voulu faire une conférence, explique-t-il, c’est-à-dire que Samuel et moi avons convoqué nos souvenirs et essayé de nous mettre à la place du public avec cette question : de quoi les gens se souviennent-ils de leur cours d’Histoire ?” Et, en sous-question : “Que serait-il intéressant de leur raconter en fonction de ce qu’ils vivent aujourd’hui ?” Dans le viseur : la place de la femme, les homosexuels dans l’Histoire, les personnages les plus célèbres (Napoléon, Jules César,…),… “De là, on a procédé par touches impressionnistes : on a ajouté des choses qui nous semblaient intéressantes. Par exemple, aujourd’hui l’homophobie remonte. Il est donc intéressant de constater que Michel-Ange, homosexuel notoire, a peint la chapelle Sixtine alors que l’Église a toujours refusé l’homosexualité…”
Si Homo Sapiens a bien pour objectif de faire rire – “un plaisir tellement vital !”–, convoquer l’Histoire est également “intéressant car ça met les choses à leur place, en perspective ; ça calme”. “C’est pour ça que je crois que l’enseignement de l’Histoire est beaucoup plus important qu’on ne le pense. Nos souvenirs des cours d’Histoire se résument à des dates de guerres, de traités,…; des rois, des conquérants, etc. C’est du Stéphane Bern, estime Fabrizio Rongione. Mais finalement, l’histoire du peuple, de la vie quotidienne, on ne nous l’enseigne jamais. Ça manque de chair et de recul. Conséquence ? On ne peut pas faire de lien pertinent avec l’actualité. C’est une grande lacune dans l’enseignement de l’Histoire !”
Bruxelles, Théâtre de la Toison d’Or, du 24 octobre au 9 novembre. Infos et rés. au 02.510.05.10 ou sur www.ttotheatre.be