"Des caravelles et des batailles" : l’utopie du hors-monde

La pièce de Benoît Piret et Elena Doratiotto célèbre la joie du presque rien et le pouvoir de l’imaginaire.

Des caravelles et des batailles - asbl Wirikuta
©Hélène Legrand

La pièce de Benoît Piret et Elena Doratiotto célèbre la joie du presque rien et le pouvoir de l’imaginaire.

Elle a germé à L’L, mûri sous les auspices, entre autres, du Raoul Collectif, vu le jour au Festival de Liège et déjà pas mal voyagé, de Lyon à Toulouse, de Mons à la Suisse. Et notamment à Avignon où elle a fait salle comble l’été dernier aux Doms. Des caravelles et des batailles, création collective de l’asbl Wirikuta mise en scène par Benoît Piret et Elena Doratiotto, se pose pour deux semaines au Varia.

L’occasion pour le public bruxellois de pénétrer, avec le nouveau venu Andreas (Jules Puibaraud), dans cette communauté isolée. De ce procédé dramaturgique emprunté aux récits initiatiques naîtra la suite : une immersion déconcertante et fascinante dans un espace-temps inédit, où bouillonne l’utopie tranquille d’une beauté née du banal.

Aux côtés des trois précités, Salim Djaferi, Gaëtan Lejeune et Anne-Sophie Sterck finissent de composer cette assemblée minuscule au sein de laquelle les rôles, sans jamais être explicitement définis, semblent bien établis. Des rôles en retrait des affaires – travail, pouvoir, cupidité –, et où se profile l’appât non du gain mais de la beauté, de ses formes plurielles, inattendues. Avec pour corollaire une notion du temps gagnant à la fois en densité et en légèreté.

Spectacle salutaire pour nos âmes empesées

De là à qualifier Des caravelles et des batailles de spectacle salutaire pour nos âmes empesées, il n’y aurait qu’un pas, que l’on franchit d’autant plus allégrement que la joie, justement, fait partie du voyage. Car il est bien question ici de déplacement : celui du corps qui, se soustrayant momentanément à la marche du monde, induit celui de la pensée, de la conscience même, en commençant par la perception : les sens pour absorber le sens.

Une communauté isolée où bouillonne l’utopie tranquille d’une beauté née du banal.
Une communauté isolée où bouillonne l’utopie tranquille d’une beauté née du banal. ©Hélène Legrand

Les créateurs situent l’action à l’endroit de leur propos : quelque part en Europe, aujourd’hui. "Nos personnages ont conscience du point de vue occidental de leur parole, tout comme ils savent l’extraordinaire de l’expérience qu’ils partagent."

L’extraordinaire de la suspension, de la marge, de la parenthèse où s’ourdissent tous les possibles. Que se passe-t-il sur le plateau des Caravelles – où la scénographe Marie Szersnovicz a travaillé son sens de l’ellipse ? Bien peu de choses et pourtant un univers entier, pas si lointain du nôtre s’il se mettait à écouter ses propres pulsations.

Tout cela s’articule dans une théâtralité dont la précision extrême sert subtilement la liberté du propos. Voici donc un conte suggestif et sensible, loin du naturalisme mais profondément réaliste, habité par la grâce de ses interprètes et ne cultivant le vide que pour donner à l’imaginaire sa juste et noble place.

  • Bruxelles, Petit Varia, du 14 janvier au 1er février 02.640.35.50 www.varia.be
  • Le mardi 21 janvier de 12h40 à 13h30 aux Musées royaux des beaux-arts, les Midis de la Poésie proposent une rencontre intitulée "Un foyer pour l’imaginaire", où l’équipe du spectacle revient sur quelques-unes des lectures ayant conduit à cette création, du roman de Thomas Mann "La Montagne magique" à l’expérience critique et poétique de la "Banalyse"  www.midisdelapoesie.be

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