"Celle que vous croyez" ou la revanche de la femme invisible
Jessica Gazon adapte le roman à tiroirs de Camille Laurens, avec une Valérie Bauchau magistralement plurielle.
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Publié le 15-01-2020 à 22h55 - Mis à jour le 16-01-2020 à 17h10
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Jessica Gazon adapte le roman à tiroirs de Camille Laurens, avec une Valérie Bauchau magistralement plurielle.
Gigogne, le roman de l’autrice française Camille Laurens (Gallimard, 2016), récemment porté à l’écran par Safy Nebbou, avec Juliette Binoche, revient au premier plan avec la transposition scénique que signe la Cie Gazon-Nève, éclose mardi soir au Rideau de Bruxelles.
Gigogne, le spectacle l’est également, voire davantage. Celle que vous croyez s’ouvre sur un jeu de répétition en boucle, une mise en abyme accentuant à dessein le feuilletage du récit, entre vie réelle et vie rêvée, entre lucidité et folie, entre invisibilité subie et affirmation de soi. Sur le plateau dans les premiers temps du spectacle, Jessica Gazon tient son propre rôle, observe, coupe ou relance le fil du récit. Ainsi la metteuse en scène tout à la fois affirme et questionne l’acte même de la mise en théâtre – et l’engagement des acteurs, ses complices Valérie Bauchau, Quentin Marteau, Gaëtan D’Agostino, Benjamin Ramon.
Le désir aboli et réinventé
À l’hôpital, au fil des séances avec son psychiatre, une femme revient sur les événements qui l’y ont menée. Claire, 48 ans, enseignante en fac de lettres et écrivaine, est tombée amoureuse de Chris, photographe de 36 ans. Son obsession, née à distance, sera cultivée de même.
Puisqu’il semble qu’à la cinquantaine une femme devienne transparente, absente du regard et du désir d’autrui, Claire s’invente un profil, sous un patronyme d’emprunt. La voici brunette de 24 ans, entamant un dialogue dont les répliques, en ligne, vont peu à peu composer une histoire. Et l’enchaînement de mensonges la piéger elle-même. Nous voilà embarqués à ses côtés dans ce jeu qui, dit-elle, cessera bientôt d’en être un.

"Pour les gens qui comme moi ne tolèrent pas l’absence, Internet c’est à la fois le naufrage et le radeau", glisse à son médecin Claire Millecam (miroir sans tain du prénom de l’autrice) au gré du récit du personnage qu’elle s’est créé.
Matière vivante, féminin pluriel
Nourrie pour ses créations successives de parcelles d’autofiction (L’Homme du câble, Toutes nos mères sont dépressives, Terrain vague, Vous n’avez pas tout dit, Les Petits Humains…), la Cie Gazon-Nève trouve dans le roman de Camille Laurens une matière vibrante, un féminin pluriel, une complexité que l’adaptation fait sienne, accentue même, dans l’agencement des angles, l’entremêlement des langages, du théâtre en train de se faire au film ou au documentaire, en passant par les projections de textos ou autres échanges sur Facebook.

L’histoire de Claire/Camille, avec ses variations, ses impasses, ses interlocuteurs, ses duplications et prolongations fantasmées, dit "jusqu’où on est prêt à se perdre pour exister aux yeux des autres", ainsi que le souligne Valérie Bauchau, interprète magistrale au cœur de ce passionnant kaléidoscope.
Où les détails relatés au début prennent chair, où l’humour sert de soupape à l’humiliation, où s’esquissent les références aux discours invisibilisant les femmes, où l’une d’elles – fictive ou réelle, de son temps en tout cas – prend sa revanche, au risque de la folie, au feu de la clairvoyance. "Au lieu de défier cette injustice, je m’y suis pliée plus que n’importe qui."
- Bruxelles, Rideau, jusqu’au 1er février, à 20h30 (jeudi à 19h30). Durée : 2h30 env.
- Rencontre à l’issue du spectacle le jeudi 23/1, avec Jessica Gazon et Veronika Mabardi.
- Infos, générique complet & rés. : 02.737.16.01 – www.rideaudebruxelles.be
- "Celle que vous croyez" sera également au Centre culturel de Verviers le 6 février, dans le cadre du festival Paroles d'Hommes.