"Ils ne sont pas là pour sucer des glaces", disent-ils. Mais bien pour nous réchauffer. Le Cnac arrive aux Halles.
Ils sont la crème du cirque de demain. Viennent du Chili. Comme Pablo Peñailillo Soto, à l’accent savoureux, qui rêvait d’Europe tant il est difficile, dans son pays tourmenté, de faire de sa passion une profession. D’Italie. Comme Davide Bonetti, l’inventeur fou au sourire ravageur, qui voulait d’abord évoluer avec des chaussures de plomb et qui, peu à peu, s’est dirigé vers des patins de glace, pour son numéro d’acro-danse. Ils arrivent aussi de Suisse, d’Allemagne, du Danemark. Ou de France, comme Céline Vaillier, touchante de sincérité, en plein questionnement, au pied du mur et de son mât chinois, à l’heure où s’impose la réalité professionnelle. Après une formation intense, elle désire prendre du recul. "Je ne sais pas ce que je veux. Je dois réfléchir. C’étaient des années assez fortes, qui demandaient beaucoup mentalement", nous confie l’acrobate.
Tous terminent leur formation au Cnac, le très réputé Centre national des arts du cirque, à Châlons-en-Champagne, qui a contribué à révolutionner les arts du cirque.
Entrer en religion
"C’est une formidable école, qui m’a beaucoup aidé. Pour apprendre le français, obtenir des papiers, et même me nourrir. Mais on y entre comme en religion. Parfois, après trois jours de cours, il est bon de prendre du recul pour se retrouver un peu, nous dit Pablo. Nous commençons les cours à 9 heures et sortons à 20 heures. Souvent, on ne voit même pas la lumière du jour. Châlons est une toute petite ville où il n’y a rien à faire. Par contre, les loyers ne sont pas chers et on peut tout faire à pied et à vélo."
Marica Marinoni, italienne également, a commencé le cirque parce qu’elle a découvert la roue Cyr. "Je suis tombée amoureuse de mon agrès", nous explique-t-elle, dans les gradins, sous le chapiteau qui, peu à peu, se refroidit, à l’issue de On n’est pas là pour sucer des glaces, spectacle de fin d’études du Cnac présenté à la Villette, haut lieu de cirque contemporain à Paris - avant de se poser aux Halles, à Bruxelles. "Après, on se retrouve au bar et on rencontre des professionnels qui viennent repérer les étoiles montantes. Chaque soir, dans la cuisine, la liste des personnalités présentes dans le public est affichée. Une manière de mettre la pression, mais aussi de nous encourager à vaincre notre timidité."
Vision d’ensemble et solidarité
C’est donc devenu une tradition. Depuis 1986 et son fameux Cri du caméléon , mis en scène par le chorégraphe Josef Nadj, le spectacle de fin d’études du Cnac est devenu un des grands rendez-vous de la Villette. Collectif, il offre une vision d’ensemble et de solidarité, deux axes qui régissent les lois du cirque. Il est aussi individuel et permet à chacun de montrer de quel agrès il se chauffe. Comme, d’entrée de jeu, Davide Bonetti et son improbable numéro d’acro-danse en bottillons de glace. Une véritable invention, sortie tout droit de l’imagination de l’artiste, qui crée une tension et un humour bienvenus. Ou Marica Marinoni, qui dompte la roue Cyr comme peu d’acrobates, osant parfois frôler le sol.
Parodie du cirque, chaos bien orchestré et ambiance foutraque sur la piste, c’est toute l’énergie et la douce folie de la jeunesse qui se déploient sous le chapiteau.
Feux de Bengale
Chemises fleuries, bermudas, frac fripé, ils sont une quinzaine à envahir le plateau. Ou à se retrouver pendus à leur corde lisse, perchés sur un mât chinois, suspendus aux lèvres du maître de cérémonie. Entre temps forts et respiration, prouesses et moqueries, arrêts sur image et tranches de vie, ils occupent l’espace en long, en large, en circonférence, et surtout en hauteur. Comme pour cet incroyable numéro de bascule coréenne, en alternance avec le trapèze et la corde lisse, qui coupe le souffle et garde les yeux du spectateur rivés au ciel. Chacun à son tour, les artistes s’élancent dans les airs. Tandis que l’un retombe sur sa planche de banquine, l’autre s’élève au trapèze ballant.
Clin d’œil aux fauves d’antan, aux exigences du chef de piste, mots saisis au vol, voilà un spectacle bien punchy et joyeusement délirant, qui révèle un réel effort de mise en piste d’un collectif par, cette fois-ci, un autre collectif, celui des Galapiats, issu lui-même du Cnac, en 2007. Et qui, pour ne rien imposer aux jeunes élèves, est parti des envies des circassiens, pour une dernière pirouette avant le grand saut dans la vie professionnelle. Pour la première fois depuis trente ans, le Cnac viendra aux Halles de Schaerbeek. Il serait dommage de ne pas en profiter.
"On n’est pas là pour sucer des glaces", aux Halles de Schaerbeek, Bruxelles, du 28 février au 1er mars. Infos : www.halles.be ou 02 218. 21.07.