Au festival Factory, les vertus étourdissantes de l'observation
Jusqu'à samedi, l'événement liégeois habite la Caserne Fonck : s'y plonger pour tâter de la vitalité des scènes d'aujourd'hui. Et découvrir "Home", pépite signée Magrit Coulon.
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- Publié le 06-03-2020 à 09h15
- Mis à jour le 06-03-2020 à 12h29
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Jusqu'à samedi, l'événement liégeois habite la Caserne Fonck : s'y plonger pour tâter de la vitalité des scènes d'aujourd'hui. Et découvrir "Home", pépite signée Magrit Coulon.
De prémices en créations, en passant par des maquettes à divers degrés de maturation, le festival Factory – initiative conjointe du Festival de Liège et de la Chaufferie Acte 1 – mise sur la créativité des artistes et la curiosité du public. Pari gagnant, à voir fourmiller le Manège Fonck, en Outremeuse, où s'organisent des journées (une centaine de professionnels, tant diffuseurs et programmateurs que journalistes, s'y pressaient en avant-première mardi de 11h à 22h) que des soirées et davantage.
Avez-vous intégré le principe de réussite – sans point d'interrogation. À ce stade, la future création d'Isabelle Darras conserve une importante part de mystère, mais en révèle assez, en 25 minutes d'étape de travail, pour éveiller l'envie d'en découvrir davantage. Et c'est prévu: ce mélange annoncé de vidéo, de marionnettes, d'objets et d'actrices bien vivantes (Audrey Dero, Sandrine Hooge, Catherine Mestoussis) verra le jour en septembre prochain. La Maison de la culture de Tournai et Mars à Mons figurent parmi les coproducteurs, de même que le National et le Théâtre de Namur.

De questions d'enfant à réalité d'adulte de 45 ans en recherche d'emploi, de face à face administratif en séquence onirique, l'avant-goût proposé par After Party Cie témoigne d'un solide sens de l'observation au service d'une fantaisie teintée de réalité sociale.
Du silence étiré aux voix enregistrées
L'observation encore, à un degré étourdissant de précision, a permis à la toute jeune metteuse en scène Magrit Coulon de mener vers le public ce qui fut d'abord un travail de fin d'études à l'Insas. Home (comme le foyer en anglais et le nom donné en Belgique aux résidences médicalisées pour personnes âgées) s'est nourri d'une recherche documentaire au sein d'une maison de retraite à Ixelles.
Un tapis blanc, un piano droit en retrait, une table, des chaises, une radio, une desserte, des plantes vertes. Une horloge et le bruit des secondes. Une femme est attablée, doigts tremblants, mâchoire crispée. Une autre s'appuie sur un déambulateur pour gagner le fauteuil au côté opposé de la pièce. Un homme semble contempler l'extérieur à travers les rideaux. Le temps et le silence emplissent tout. La lenteur, la mesure de chaque geste, l'effort qu'il coûte, la victoire qu'il représente lorsqu'il atteint son but: s'asseoir, réussir à ouvrir le carton de jus, en servir un gobelet.

Carole Adolff, Anaïs Aouat et Tom Geels se montrent presque autant sculpteurs qu'acteurs, dans des compositions saisissantes jusqu'aux raclements de gorge, aux bruits de bouche, aux rapides clignements de paupières, aux regards complices ou soudain absents, aux assoupissements furtifs. Cette pièce commune, lieu théorique du partage, condense les solitudes dans leur attente sans objet. Tableau saisissant jusque-là, dans son mutisme placide, Home bifurque – sans rien céder de sa minutie dans l'interprétation – pour englober des paroles de résidents. Aux voix enregistrées (une chanson d'abord, des presque monologues ensuite, un dialogue frisant le burlesque), les jeunes comédiens prêtent leurs traits, leurs attitudes, la palette complète des détails et inflexions sonores.
On est loin au-delà du playback: dans une compréhension intime, intense, de ces âges extrêmes, si loin de ceux de ces artistes en devenir. À l'écoute de l'ordinaire et de l'étrange, ils y plongent avec autant de respect que d'irrévérence fantasque, et sans l'ombre d'une moquerie. Un travail d'ombre et de lumière, d'humour et d'humilité, d'engagement et de nuance, qui fait entendre jusqu'aux disparités sociales de leurs interlocuteurs. Une vraie, une grande, une importante découverte.
- Festival Factory, à Liège, divers espaces du Manège Fonck (2 rue Ransonnet), jusqu'au 7 mars. Dès 19h jeudi, dès 17h vendredi, dès 14h samedi. Infos, programme complet, rés.: 0497.606.402 - www.festivaldeliege.be
- "Home" de Magrit Coulon fait partie de la programmation du Théâtre des Doms pour le festival Off d'Avignon 2020.