Covid-19 : Nuages noirs et éclaircies sur le paysage scénique
Lourdement touché par les annulations, le secteur de l'art vivant s'inquiète. Organisateurs, lieux, festivals, artistes, techniciens font face avec des moyens divers. Les pouvoirs publics, cabinet de la ministre de la Culture en tête, étudient les revendications.
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Publié le 18-03-2020 à 19h20 - Mis à jour le 18-03-2020 à 19h21
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Lourdement touché par les annulations, le secteur de l'art vivant s'inquiète. Organisateurs, lieux, festivals, artistes, techniciens font face avec des moyens divers. Les pouvoirs publics, cabinet de la ministre de la Culture en tête, étudient les revendications.
À risque parce qu’il a été, jusqu’à jeudi voire vendredi derniers, le lieu d’importants rassemblements et donc de foyers de contamination, le secteur des arts de la scène – où la précarité est le lot de beaucoup – s’est réveillé étourdi et plus conscient que jamais du danger que courent ses membres.
"Le secteur culturel sera soutenu", déclarait la ministre Bénédicte Linard au lendemain de l’annonce par le gouvernement des mesures exceptionnelles liées à la pandémie. Son cabinet a rencontré lundi des représentants de la CTEJ (Chambre des théâtres pour l’enfance et la jeunesse), la CCTA (Chambre des compagnies de théâtres pour adultes), la RAC (Fédération professionnelle du secteur chorégraphique) et Aires libres (Fédération professionnelle des arts du cirque, des arts de la rue et des arts forains).
Avec "toute la souplesse possible" dans son examen et en soulignant la nécessité d’"objectiver les demandes dans la perspective notamment de mettre en place un fonds d’urgence", le cabinet de Mme Linard assure travailler ferme – avec ses homologues au fédéral, à la Région wallonne et à la Cocof – à proposer des modèles tenables pour le soutien annoncé.
Demandes et pistes
Si le chômage temporaire pour force majeure est l’une des premières pistes observées – avec prolongation jusqu’au 30 juin et hausse à 70 % du revenu au lieu de 65 –, sa mise en place risque de pénaliser les artistes et techniciens dans l’obtention ou le renouvellement de leur statut. Un projet de moratoire sur le "statut d’artiste", soumis à la commission paritaire 304 (qui se réunit ce mercredi), préconise que le SPF Emploi prenne en compte les contrats annulés pour le calcul des jours prestés.
Michael Delaunoy (Rideau de Bruxelles) abonde dans le sens de Serge Rangoni (Théâtre de Liège) et de son idée de prise en charge, par la Fédération Wallonie-Bruxelles, d’une part fixe – 70 % par exemple – de la billetterie perdue des théâtres, à charge pour ceux-ci d’honorer les contrats. "Alors que les pertes sont à ce jour difficiles à calculer, ce dispositif assez simple à mettre en place permettrait aux structures d’avancer." Une – modeste mais réelle – bouée stable alors que les théâtres ont par ailleurs souvent, à cette période, déjà bouclé leur saison à venir.
À la Balsamine, le programme de 2020-2021 "risque d’être très bousculé", indique sa directrice, Monica Gomes. Cette saison encore devait voir éclore la nouvelle création de Martine Wijckaert, vaste production de près de 20 personnes, financée en partie via le Tax Shelter. Dans ce cadre, les fonds avancés doivent être dépensés dans les 24 mois. Un délai prolongé de 6 mois, a signalé dès vendredi le SPF Finances. Report obligatoire donc, "avec la difficulté supplémentaire de la disponibilité des artistes, a fortiori quand ils sont nombreux dans un projet", souligne Monica Gomes.
La coopérative de travailleurs autonomes Smart a elle aussi interpellé les autorités pour qu’elles prennent en compte ces réalités complexes.
Circassiens précaires et solidaires
Le cirque et les arts de la rue, partie intégrante des arts scéniques, y tiennent une place singulière où se marquent, davantage encore, la précarité des artistes mais aussi leur mobilité. Après l’ajournement du Festival UP, importante biennale internationale du cirque contemporain pilotée par Catastrophe, c’est à présent Hoplà ! (13-19 avril) dont l’annulation vient d’être annoncée par la Ville de Bruxelles.
Constellé de contrats très courts, "dont des CDD d’un jour", appuie Isabelle Jans, coordinatrice d’Aires libres, le secteur du cirque et de la rue regroupe de nombreux jeunes artistes et techniciens, "qui souvent n’ont pas encore acquis leur statut, et survivent grâce aux représentations et aussi en travaillant dans des bars, des restos" et autres lieux également fermés actuellement. "Or, si à la fin du lockdown un café peut rouvrir en deux-trois jours, on ne relance pas un festival en un temps si court…"
Tout ceci, ainsi que le soulignait également Catherine Magis, programmatrice du Festival UP, dans un univers où "la diffusion repose essentiellement sur les festivals", et "la visibilité des créations dépend du début de la saison festivalière, soit exactement maintenant"…
"Ces artistes n'ont pas froid aux yeux"
Les circassiens et artistes de rues, dans la tourmente, s’efforcent comme tous leurs camarades du théâtre et de la danse de recenser les dégâts. "Mais les paramètres sont nombreux, les cas tous particuliers, reprend Monica Gomes. Il sera compliqué d’établir un cadastre des pertes. En attendant, il faut parer au plus pressé."
L’éclaircie, dans ce tableau aussi sombre qu’incertain, perce sous les traits de l’entraide. "J’ai confiance en l’esprit de solidarité interne à notre secteur, avance Isabelle Jans. Ces artistes n’ont pas froid aux yeux. Dès qu’ils pourront redémarrer, je sais qu’ils le feront. J’espère que les citoyens, après tout cela, auront très envie de culture. Et qu’on se montrera collectivement inventif. Pourquoi pas un festival qui regrouperait toutes les créations annulées, un festival des Grandes Premières ?"