Philippe Grombeer : un regard précieux s'est éteint

"Il ne sera jamais un vieillard, il aurait détesté ça", souffle Isabelle Jans qui fut, avant de lui succéder, sa complice au pied de l'Escalier des Doms, dans le théâtre qui porta haut, dès 2002, les couleurs belges dans l'énorme Festival off d'Avignon. Cette nouvelle aventure, qu'il mena avec enthousiasme et succès jusqu'à l'heure de sa retraite, en 2011, en suivait une autre, et de taille, puisqu'il fut animateur et coordinateur des toutes jeunes Halles de Schaerbeek, dans les années 70, avant d'en devenir le directeur et de tenir la barre de cet imposant et audacieux paquebot durant 28 ans.

Né à Malmedy en 1946, Philippe Grombeer étudie à l'Université libre de Bruxelles les sciences politiques et diplomatiques, la sociologie puis le journalisme et la communication sociale. De 1968 à 1971, toujours étudiant, il est animateur de la Maison des jeunes de Woluwe-Saint-Lambert. Son esprit critique, ses goûts éclectiques, son exigence professionnelle s'esquissent déjà et ne feront que s'affûter.

Avec lui et grâce à lui – épaulé par son aîné et ami Jo Dekmine, fondateur du 140 et cheville ouvrière de ce projet novateur –, les Halles deviennent un haut lieu de la culture plurielle à Bruxelles: du rock au cirque, du théâtre à la danse, les horizons s'élargissent pour un public dont le programmateur saisit avec justesse les élans, les envies d'inédit.

Homme de réseaux

Fin connaisseur de la scène belge et internationale, Philippe Grombeer participe également à la mise sur pied de plusieurs forums, réseaux ou projets culturels européens dont, dès 1983, TransEuropeHalles, réseau multidisciplinaire de friches et lieux industriels réaffectés à la culture. Mais également, entre autres, les European Drama Encounters, l'Informal European Meeting (IETM) ou encore le Forum européen pour les Arts et le Patrimoine (FEAP/EFAH).

En 1991, il présidait le jury des Rencontres de théâtre jeune public de Huy; en 2000 et 2001 celui du Prix OCE des Arts de la scène et celui de la Piste aux Espoirs à Tournai.

En 2009, le jury des Prix de la critique lui décernait le Prix Bernadette Abraté pour son travail en faveur de la création et de la circulation des œuvres au Théâtre des Doms, à Avignon. En 2018, l'ambassadeur de France en Belgique lui remettait les insignes d'Officier dans l'Ordre des Arts et des Lettres.

Généreuse intelligence

"L’homme que tout émerveillait et qui en tout voyait le beau et le bon, nous a quittés. Sa curiosité pour les artistes et les œuvres était inépuisable. Le premier directeur du Théâtre des Doms n’est plus", écrit dimanche soir Alain Cofino Gomez, le successeur d'Isabelle Jans aux Doms. "Perte immense, irréparable, note Michael Delaunoy, directeur du Rideau de Bruxelles. Un être rare, d’une douceur infinie, qui aura fait honneur aux arts de la scène. Nous sommes nombreux à devoir quelque chose à cet homme si humble et d’une si généreuse intelligence."

C'est tout un univers, celui des arts qui vivent et vibrent, qui nourrissent l'esprit et font battre le cœur, à qui manquera celui qu'on croisait encore régulièrement au spectacle – des arts de la rue aux propositions les plus radicalement contemporaines –, promenant la limpidité de son regard au-delà des apparences, jusqu'au noyau du sens et du sensible.