"Le manque d’écoute de la ministre Linard est un scandale"
Sévèrement touché par la crise sanitaire, le secteur des arts de la scène attend des "réponses concrètes" de la ministre de la Culture Bénédicte Linard. Menacé de faillite, le Théâtre Le Public tire la sonnette d’alarme.
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Publié le 04-05-2020 à 11h55 - Mis à jour le 12-05-2020 à 09h00
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Sévèrement touché par la crise sanitaire, le secteur des arts de la scène attend des "réponses concrètes" de la ministre de la Culture Bénédicte Linard. Menacé de faillite, le Théâtre Le Public tire la sonnette d’alarme.
Voici un mois et demi que son théâtre est portes closes. Et, aujourd’hui, le directeur du Public, Michel Kacenelenbogen, est un homme "en colère". "J’ai beau lire des tas de déclarations de notre ministre de la Culture (Bénédicte Linard, Écolo, NdlR) dans la presse, cela fait plus de 45 jours que notre activité est complètement à l’arrêt. Et je ne vois pas une seule mesure concrète qui a été mise en place à ce jour, s’indigne-t-il. Alors, Patricia Ide (co-directrice du Public, NdlR) et moi-même ne sommes pas les plus fragiles. Les plus fragiles, ce sont les artistes et les techniciens, mais, pour qu’ils puissent exister, il faut des théâtres où ils puissent présenter leur travail."
Sévèrement touché par la crise sanitaire, le secteur culturel, et en particulier les arts de la scène, n’a de cesse de manifester sa détresse et d’alerter les autorités politiques sur la situation terriblement critique dans laquelle il se trouve. "Ça fait deux mois que j’envoie des courriers avec des propositions, des suggestions, des recommandations très concrètes, calculées et évaluées, indique Michel Kacenelenbogen. Je ne dis pas que je détiens la science infuse, mais je trouve que ça mérite au moins une réponse." "Patricia et moi sommes responsables d’une institution. Nous sommes des artistes. Nous ne sommes pas sur une tour d’ivoire. Je me sens totalement en manque de respect de la ministre de la Culture !, fulmine-t-il. Je n’ai pas reçu un accusé de réception. Ce manque d’écoute est un scandale !"
Certes, Bénédicte Linard s’est montrée attentive au courrier que lui a adressé lundi dernier la Fédération des employeurs des arts de la scène (FEAS) et a organisé un tour de table des différentes fédérations représentatives ainsi que des syndicats, mais "s’il a fallu 45 jours à la ministre pour commencer à nous recevoir, quand les décisions vont-elles être prises ?", se demande le directeur du Public. "Quand la crise sera finie ? Dans six mois ? Je ne suis pas content !"
Une perte d’au moins 450 000 euros
Figurant parmi les plus gros employeurs en termes d’emplois des acteurs et actrices de la Fédération Wallonie-Bruxelles (entre 10 et 15 %), Le Public représente également 30 % de la recette spectateurs des théâtres à Bruxelles. "Mais nous appartenons à cette catégorie de théâtres dont la subvention (2 millions d’euros pour Le Public, NdlR) est inférieure à leurs frais fixes, signale Michel Kacenelenbogen. Nous devons donc présenter des spectacles qui, au-delà de leurs qualités artistiques, doivent générer une recette propre (une billetterie) supérieure aux coûts des spectacles pour pouvoir financer leurs coûts fixes." Il poursuit : "Comme notre théâtre dépend de la billetterie pour son équilibre économique, lorsque tout s’est arrêté le 13 mars, nous nous sommes retrouvés tout de suite dans une situation où l’on savait que, sans mesures, nous allions perdre un minimum de 450 000 euros d’ici la fin de la saison 2019-2020."
En tout, sept spectacles ont dû être annulés (et reportés), soit 160 représentations. Ce qui concerne "17 ou 18 acteurs et actrices, une dizaine de collaborateurs encadrants plus tout le reste du personnel", détaille-t-il. "Donc, au total, ce sont 50 personnes qui se sont arrêtées de travailler. Sans compter que, tout de suite, on a dû mettre toute l’équipe fixe en chômage technique partiel ou total parce que, sinon, on allait sauter financièrement très vite."
Dans ce marasme socio-économique, "pour l’instant, les spectateurs sont les seuls qui nous soutiennent", remercient Michel Kacenelenbogen et Patricia Ide. De nombreux spectateurs ont, en effet, choisi de ne pas demander le remboursement des places qui restaient sur leur abonnement ou qu’ils avaient déjà réservées. "Des dons purs" qui représentent "30 000 euros sur les 450 000 euros de chiffre d’affaires que nous ne pouvons pas réaliser".
"Notre existence dépend de deux facteurs"
Mais quid pour la saison prochaine ? "Pour pouvoir être à l’équilibre, nous sommes pratiquement dans l’obligation de présenter des spectacles, car, si l’on n’en présente pas et que le public ne vient pas, on ne saura pas rémunérer tout ce qu’on doit rémunérer", affirme le directeur. À moyen terme, donc, "notre existence dépend de deux facteurs fondamentaux". Primo, la réouverture des théâtres et, partant, le retour du public dans les salles de spectacle. "Sur les 100 000 spectateurs que Le Public accueille par saison, le chiffre d’affaires spectateurs/billetterie s’élève en moyenne entre 1,2 et 1,5 million d’euros, rapporte Michel Kacenelenbogen. Quand on sait que toute la recette du secteur tourne entre 7 et 8 millions d’euros de billetterie, si nous ne pouvons pas faire ce chiffre, c’est une grosse problématique." Secundo, le tax shelter. "La saison prochaine représente 2 millions d’euros d’emplois artistiques - notre théâtre ne fait pratiquement que de la création de spectacles et très peu d’accueils. Mais la moitié, soit 1 million, est prise en charge par le tax shelter, explique-t-il. Ce mécanisme est défini par le bénéfice des entreprises. Or beaucoup ne seront pas en bénéfice en raison de la crise sanitaire. Donc, nous sommes face à un risque pour la saison prochaine de 1,8 million d’euros."
Les deux co-directeurs ne cachent pas leur vive inquiétude : "Quand on est responsable d’une entreprise qui a 25 ans, qu’on ne sait pas quand on va pouvoir rouvrir et qu’on doit encore trouver une bonne partie de ce 1,8 million pour ne pas faire faillite, eh bien, nous ne dormons pas bien."
Face à cette situation sans précédent, ils en appellent à répondre à quatre urgences. 1° "Être concret et arrêter les effets d’annonce." 2° "Obtenir la prolongation des mesures de chômage temporaire et permettre que les contrats des artistes prévus pendant la période de confinement et jusqu’à la réouverture des lieux culturels soient couverts par une aide." 3° "Que les autorités politiques annoncent clairement, avant fin mai, une date de réouverture des lieux de culture." Enfin, "dans la stratégie de déconfinement, mettre en place toute une série de mesures d’exonération fiscale, de déduction fiscale… Mais pour cela, il faut quelqu’un qui a une expertise de notre secteur, une connaissance de la fiscalité et un rapport de confiance avec le gouvernement fédéral et les entités fédérées."