Le fascisme est à nos portes
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Publié le 06-07-2021 à 11h25 - Mis à jour le 06-07-2021 à 17h17
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L’excellente metteuse en scène brésilienne Christiane Jatahy qui avait tant séduit déjà Avignon en 2019 avec Le présent qui déborde, ouvrait cette année le Festival, avec Entre chien et loup, spectacle bouleversant et très interpellant.
Elle a eu l’idée de repartir du film de Lars von Trier, Dogville, où comment une communauté accueille Grace, une fugitive poursuivie par des truands. D’abord, les habitants sont souriants et ouverts mais peu à peu surnagent des sentiments vils, de suspicion, d’égoïsme, de préjugés racistes, et se déploie une exploitation de cette femme, de son humanité, la mise en doute de tout ce qu’elle dit. Jusqu’aux attaques des femmes contre elles et les viols des hommes.
Christiane Jatahy imagine une nouvelle collectivité, des acteurs cette fois, répétant la mise en scène d’une pièce tirée du film pour étudier comment aujourd’hui, en 2022, en Europe, on accueille « l’Autre ». Ils sont à leur tour envahis par le réel avec l’arrivée d’une réfugiée venue d’une dictature d’Amérique latine où elle est menacée par les milices paramilitaires d’extrême droite. On pense évidemment au Brésil de Bolsonaro, d’autant que la réfugiée, prénommée cette fois Gracia, est jouée par la merveilleuse actrice brésilienne Julia Bernat.
Comme chez Lars von Trier, on assiste à la torture psychologique, aux chantages, à la méfiance paranoïaque, à l’exploitation économique et sociale, puis aux violences physiques et sexuelles qui lui sont infligées.
De manière remarquable, Christiane Jatahy joue à la fois du théâtre qui se fait devant nous et de la vidéo montrant tantôt ce qui se passe, tantôt des scènes tournées auparavant. Avec des moments presque insoutenables comme l’évocation du viol dans la camionnette du livreur de pommes réclamant son « salaire » pour son aide à la réfugiée.
Pour Christiane Jatahy, la question de « l’Autre » est devenue encore plus prégnante avec la pandémie quand l’Autre devient une menace directe possible sur notre santé tout en nous liant à lui (on a besoin de sa vaccination).
La fin du film de Lars von Trier est le massacre général, l’apocalypse. Christiane Jatahy a voulu une fin plus ouverte, avec un avenir possible, suivant ainsi le beau thème général de ce festival « Se souvenir de l’avenir », se souvenir qu’un avenir peut encore se construire.
Peut-on encore éviter le pire ? Christiane Jatahy forte de la dramatique expérience du Brésil reste pessimiste: « Le fascisme, fait-elle dire sur scène, naît des insatisfactions profondes et multiples. Le fascisme est déjà là sans qu’on l’ait bien vu et repéré, et quand il sera vraiment là, il n’y aura plus de théâtre, plus rien. »
Un spectacle magnifique dont on sort sonné.
A Avignon, jusqu’au 12 juillet, et au Singel à Anvers les 3 et 4 juin 2022.