La géométrie variable des sensations fortes
Chez Jan Martens comme chez Phia Ménard, la radicalité rencontre l’adhésion.
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- Publié le 23-07-2021 à 20h56
- Mis à jour le 27-07-2021 à 20h10
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Clameur de joie et public debout ont salué, le 18 juillet, Any attempt will end in crushed bodies and shattered bones, une heure et demie de danse aussi radicale qu’accessible, par les 17 interprètes – d’une remarquable diversité de morphologies, d’origines, d’âges – de Jan Martens.
Le mistral s’engouffre dans la cour du lycée Saint-Joseph. L’incertitude et la majesté qu’il imprime à cette édition particulière du Festival d’Avignon s’accompagnent, ici, d’un volume musical élevé. Bientôt, la partition sera absorbée par les corps : chacun sa ligne, sa tonalité, sa phrase rythmique ou instrumentale.
À la musique obsédante d'Henryk Górecki, comme un fil rouge, viendront se mêler d’autres, dont la plume et la voix de Kae Tempest ("More empathy, less greed, more respect" : "plus d’empathie, moins de cupidité, plus de respect") – moment de grâce.
Danser/marcher/résister
Difficile de ne pas penser aux grandes pièces et au credo d’Anne Teresa De Keersmaeker – danser/marcher – notamment dans les scènes où la troupe de Jan Martens déploie sur le plateau, structuré par des marques géométriques, des figures de groupe d’une simplicité séminale, d’une précision étourdissante.
La marche est aussi outil de manifestation, de démonstration, et le chorégraphe anversois explore dans sa pièce les dynamiques de la résistance, ses impasses aussi. Surgissement, spontanéité, organisation s’entremêlent dans cet opus où s’allient avec une généreuse économie la puissance et l’ancrage, le déploiement et la retenue. S’affirme alors l’articulation nécessaire des vents contraires dans une grammaire qui réussit à demeurer parfaitement lisible sans rien renier de ses audaces, voire de son jusqu’au-boutisme.
L’énergie qui s’en dégage ne ment pas. Grande pièce.
Prêtresse-maîtresse polyglotte
Une autre forme de gigantisme imbibe les trois heures de La Trilogie des contes immoraux (pour Europe), spectacle fleuve installé à l’Opéra Confluence, récent et excentré.

Sur les ruines de Maison Mère – le premier volet, où Phia Ménard en Athéna punk-rock construit en direct un temple de carton à la merci des éléments –, va s’ériger Temple Père. Sous les ordres, prédications et psalmodies polyglottes d’une prêtresse-maîtresse (Inga Huld Hakonardóttir) montée sur cothurnes, quatre êtres indistincts échafaudent une manière de château de cartes, une tour de Babel défiant les cintres. Labeur, prolétariat, domination étaient dans la durée le propos de cette performance vertigineusement engagée.
C’est son corps qu’à nouveau Phia Ménard met en jeu et à nu, cette fois, dans La Rencontre interdite, troisième volet en forme d’épilogue voilant les précédents d’une matière noire qui ne peut cependant effacer les images intenses créées par l’artiste.
- Jusqu’au 25 juillet – www.festival-avignon.com
- "La Trilogie des contes immoraux" à Anvers, de Singel, les 4 et 5 février.
- "Any attempt…" le 20 octobre à la Biennale de Charleroi danse, et en tournée belge (Anvers, Turnhout, Gand, Bruges, Louvain) et européenne.