Du coucher de soleil à l’aube, "quelque part dans le monde de demain"
Le Varia ouvre sa saison avec "Dans la nuit", texte de Louise Emö, mise en scène de Coline Struyf. Une exploration de l’insurrection.
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Publié le 23-09-2021 à 11h24 - Mis à jour le 23-09-2021 à 15h02
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En inscrivant Dans la nuit à l'agenda de la rentrée 2021-2022, Sylvie Somen, alors à la tête du Varia, maintenait son soutien au collectif Mariedl, fondé en 2007 par Selma Alaoui, Emilie Maquest et Coline Struyf. Celle-ci, porteuse de cette nouvelle création, était loin encore d'être nommée pour lui succéder dans le rôle de directrice.
"Cette énergie que je mets actuellement à penser des spectacles et à les créer, je vais la placer ailleurs, dans un endroit qui pour moi est aussi une forme de création", déclare à présent la metteuse en scène. La saison qu'elle a inaugurée le 18 septembre – avec le vernissage de l'exposition #ENTRACTE rassemblant les personnages et images conçues par Delphine Bibet et Michel Boudru pendant deux saisons confinées – est encore signée Sylvie Somen, et absorbe un certain nombre de reports, dont Dans la nuit ne fait pas partie.
Si ce spectacle s'appuie sur de multiples influences, l'élément déclencheur est "une exposition de photojournalisme sur l'insurrection de Berlin en 1919, et en particulier sur la nuit du 15 janvier, où Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht ont été assassinés – une nuit d'une extrême violence", à quoi Coline Struyf ajoute la lecture de Se défendre, une philosophie de la violence, d'Elsa Dorlin.
Ce qui gronde au dehors
Le parcours de la metteuse en scène est traversé d'un questionnement de la violence intime en lien avec la violence sociale. Or cette nuit d'il y a un siècle résonne, pour Coline Struyf, "avec les mouvements sociaux actuels, les diverses mobilisations citoyennes". Elle creuse ainsi un sujet qui l'habitait déjà lorsque, montant L'Insurrection qui vient, au National en 2010, elle exprimait son souhait de "porter à la scène la politique du branle-bas de combat".
Confirmant son goût pour la "narration multicouches" – dont Ce qui arrive, adapté du roman graphique Here de Richard McGuire, était un remarquable exemple –, Coline Struyf propose une nouvelle traversée, "du coucher de soleil jusqu'à l'aube, une nuit où on suit les destins de deux sœurs : l'une a choisi de rester dans le giron familial, gérant la fortune dont elle a hérité, l'autre est partie dans l'idée de se confronter à des zones de danger et d'engagement".
Ce soir-là, Anna et son mari Mark célèbrent au champagne le succès de la start-up lancée par celui-ci, "insouciants de ce qui est en train de gronder au dehors". Mais Nanna, disparue depuis tant d'années qu'on croit qu'elle ne reviendra plus, choisit ce moment pour refaire surface et entraîner sa sœur à renouer le pacte de leur adolescence : rejeter les modèles établis, combattre l'injustice.
Échelle humaine et langue profuse
L'intime, le collectif et le politique se mêlent, sans affirmer, souligne Coline Struyf, "que telle chose est juste et telle autre ne l'est pas, mais en observant comment l'être humain est pris dans des mouvements plus vastes".
Le credo de la metteuse en scène demeure : "revenir à l'échelle humaine". Avec cette nouveauté : d'habitude en quête d'écritures "sur la réserve", elle a fait appel ici à Louise Emö. "Pour sa langue proche du spoken word, du slam, pour sa rythmique qui peut, en une phrase, déplier tous les non-dits." Alors que Coline Struyf fonde son travail sur l'investigation corporelle, le mouvement et ce que leur rencontre produit dans l'espace, elle a voulu ici se confronter "à une langue plus fourmillante et dense" pour aller vers l'endroit où "la parole prend le pouvoir", où "le récit devient action". En outre, "traiter d'une insurrection populaire sur un plateau de théâtre, c'est assez difficile à représenter. Il fallait une langue qui le permette."
Si Dans la nuit relève du tragique, c'est en le décalant, en le désamorçant "pour affronter ce qu'on a à raconter". En résumé et toutes proportions gardées : "si c'est une tragédie, elle est plus dans le clan de Shakespeare que dans celui de la tragédie classique", sourit la metteuse en scène.

Outre l'autrice et les interprètes – sept dans cette aventure –, la metteuse en scène insiste l'importance capitale de la création technique, "porteuse de langages forts, tant pour la dramaturgie que pour l'esthétique". Confiée à Sophie Carlier, la scénographie posait un sacré défi, allant de la terrasse panoramique d'une demeure de luxe à un paysage urbain. De l'identifiable – sans pour autant s'ancrer dans l'actualité –, la narration prend un chemin plus fantastique. "On renomme les choses pour ouvrir à l'imaginaire du public", indique Coline Struyf, qui entrevoit la pièce comme "une collision entre un passé et des futurs".
Des clefs ? elle préfère ne pas en donner. "Je n'aime pas beaucoup l'idée de message, pas plus que celle de vérité. Mais bien celle qu'on puisse se reconnaître à plusieurs endroits. La langue poétique invite à lâcher l'obligation de saisir un sens unique et précis." Ouvert à diverses lectures, Dans la nuit pourrait être, selon elle, une invitation à "mettre au jour les systèmes dans lesquels on est pris".
- "Dans la nuit - Éloge de la vulnérabilité", à Bruxelles, Grand Varia, du 28 septembre au 16 octobre – 02.640.35.50 – www.varia.be
- Également à l'affiche "La délégation du vide" d'Arthur Egloff et Damien Chapelle, Petit Varia, du 30 septembe au 24 octobre
- Et l'exposition #ENTRACTE de Delphine Bibet et Michel Boudru, jusqu'au 21 octobre