L’autre : sujet, objet et vecteur du théâtre
À l’orée du festival Mouvements d’altérité à Océan Nord, Isabelle Pousseur réaffirme ses fondamentaux.
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Publié le 30-09-2021 à 11h59 - Mis à jour le 30-09-2021 à 12h00
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En 2018, Mouvements d'identité créait un précédent au Théâtre Océan Nord, une somme de moments forts pour un festival au départ pas pensé pour être dupliqué. Mais très vite, dès alors, des discussions ont fait germer la possibilité d'une récurrence, où viendraient s'entortiller les volutes de l'altérité, sujet central chez Isabelle Pousseur. Le Théâtre, art de l'autre, ainsi s'intitulait d'ailleurs le hors-série consacré par la revue Alternatives théâtrales, en 2013, à la metteuse en scène et pédagogue.
"Le théâtre peut être un vecteur d'apparition de personnages autres, mais aussi l'endroit où questionner la manière dont on les fait apparaître", explique la directrice d'Océan Nord. Mettre en scène Last Exit to Brooklyn (Coda) a ainsi beaucoup compté pour elle quant au "travail sur les possibilités d'incarnation". Jeunes, vieux, hommes, femmes, enfants, personnes blanches ou noires… Un champ des possibles théâtraux "difficilement imaginable ailleurs - au cinéma, à l'écran, à moins d'utiliser des trucages", insiste-t-elle. "On se pose là, quasiment, à l'opposé de l'idée du casting."
Se trouvant "au centre d'une constellation d'altérités" (dramaturge, interprètes, personnages, public), la metteuse ou le metteur en scène se trouve en position d'interroger, d'explorer, d'inclure ces regards. Isabelle Pousseur avait développé ce propos dans une Conférence sur l'altérité donnée à Bruxelles puis à Lausanne en 2013. Du temps a passé, y compris les deux années écoulées, si singulières. Temps de réflexion et de construction jusqu'à la création, à partir de cette conférence, d'Éloge de l'altérité. "Moins une conférence aujourd'hui qu'un échange, un dialogue", auquel prennent part la conceptrice et Paul Camus, Amid Chakir, Francesco Italiano, Bogdan Kikena, Chloé Winkel et le pianiste Jean-Luc Plouvier. "Cette forme - dont j'ai en outre emprunté le cadre à L' Abécédaire de Gilles Deleuze - me permet de rendre compte d'une certaine transmission. C'est tout le principe de la conférence, d'ailleurs : transmettre des pensées, des idées."
Si son spectacle se présente comme une réflexion sur l'altérité au théâtre, la volonté d'Isabelle Pousseur est d'inclure dans ce processus "la possibilité aussi de penser autre chose que le théâtre". Une manière, et une matière, d'élaborer une relation qui ne soit pas seulement pyramidale. "Qu'est-ce qu'une vie collective ? C'est la question centrale."
Faire apparaître l’autre sous nos yeux
Sa création n'est pas la seule du festival, dont les composantes ont été choisies avec autant de précision que d'ouverture, et où surgissent des transversalités. L'âge et la fragilité en font partie, que l'on retrouve dans Et je voulais ramper hors de ma peau, conception de Francine Landrain et Valentine Gérard, actrices de générations différentes, ayant confié la mise en scène et la scénographie à Stéphane Arcas. L'autre forme d'altérité présente dans ce projet tient à la transe, à la sorcellerie, aux rituels (féminins) de réenchantement du monde.
Parmi les accueils figure en outre le somptueux Home de Magrit Coulon, où de très jeunes interprètes, sans autre artifice que leur propre corps, le propre jeu, donnent vie à de très vieilles personnes. "Cela met en lumière cette capacité inouïe du théâtre : faire apparaître l'autre sous nos yeux", s'enthousiasme la pédagogue qui avait repéré le travail de la toute jeune créatrice encore à l'Insas.
On notera en outre, à Mouvements d'altérité ("et la notion de mouvement est importante"), une série de rencontres, dont une table-ronde "Âge".
Enquête de quartier et paroles d'hommes plus âgés portées par de jeunes actrices, c'est La Place, de Laure Lapel, qu'accueille Océan Nord. Outre les thèmes déjà soulignés, Isabelle Pousseur salue là un intérêt de la nouvelle génération pour le travail sur le réel doublé de la "volonté d'une théâtralité poétique".
Altérité et transmission - en plus du lien qu'Isabelle Pousseur tient à cultiver avec l'Afrique - se déclinent également au cœur de Jaz de Koffi Kwahulé, dont le jeune comédien congolais Djo Ngeleka a imaginé une version en duo, avec l'actrice Solange Muneme, sous la direction de Laetitia Ajanohun. Récit d'un viol par sa victime, Jaz contient une musicalité propre.

"Chacune des créations du festival inclut d'ailleurs un musicien", pointe Isabelle Pousseur, soulignant cet autre fil rouge. L'écriture de Koffi Kwahulé (dont elle avait monté L'Odeur des arbres en 2015) "va dans le sens d'une multiplication des possibles des personnages, en ne se privant de rien", relève-t-elle. "Son théâtre est celui de la confrontation."
L'auteur ivoirien n'est pas pour rien l'invité d'honneur du festival, lui qui écrit : "Je pense que le théâtre est l'art de se confronter à l'altérité et aux risques qu'elle implique nécessairement."
Du 1er au 24 octobre, Océan Nord (et son foyer rénové !) va fourmiller de Mouvements d’altérité.
Trois créations : Éloge de l’altérité, conférence-spectacle théâtrale et musicale d’Isabelle Pousseur (1-9 et 22-24/10) ; Et je voulais ramper hors de ma peau, de Francine Landrain et Valentine Gérard (7-14 et 19-24/10) ; Jaz, de Koffi Kwahulé, projet porté par Djo Ngeleka, mis en scène par Laetitia Ajanohun (12-13 et 19-24/10).
Des accueils et événements : Home – Morceaux de nature en ruine, de Magrit Coulon (13-17/10) ; La Place de Laure Lapel (15-17/10) ; Le Discours de l’homme rouge, lecture en collaboration avec la Chaire Mahmoud Darwich et les Midis de la poésie (22-23/10)... Mais aussi une expo, un concert, de nombreuses rencontres.
Infos, programme complet, réservation : Théâtre Océan Nord, 63-65 rue Vandeweyer, 1030 Bruxelles, 02.216.75.55, www.oceannord.org.