Thomas Poitevin, comédien portraitiste – des réseaux sociaux aux plateaux

Des addictives "Perruques de Thomas" sur Instagram, il extrapole "Thomas joue ses perruques" et arrive à Bruxelles.

Du millier de personnes qu'il espérait toucher, "au mieux", avec ses capsules Les Perruques de Thomas postées sur Instagram, la jauge a explosé depuis longtemps. Suivi à ce jour par près de 74 000 followers, Thomas Poitevin a depuis peu retrouvé le chemin des théâtres.

Il cosigne (avec Hélène François et Stéphane Foenkinos) et interprète Thomas joue ses perruques. Après la création et une première série de représentations au Théâtre-Sénart, en région parisienne, la pièce entame une tournée qui fait étape brièvement à Bruxelles avant d'y revenir un peu plus longuement en février. "Au TTO, il y aura une couleur un peu différente des dates standard de la tournée ; on doit apprendre à moduler le spectacle selon les salles", nous confie le comédien.

Né en 1980 à Fontainebleau, titulaire d'une licence en Lettres modernes, formé au Conservatoire municipal d'art dramatique Hector Berlioz du Xe arrondissement de Paris et ayant suivi une formation d'auteur-réalisateur de fiction longue, Thomas Poitevin écrit et joue depuis 2010, pour différentes compagnies. Assurément auteur et acteur, mais également metteur en scène, c'est en portraitiste que le révèlent les personnages récurrents, ordinaires, attachants, auxquels il donne vie dans Les Perruques de Thomas. Et l'art du portrait – ou du sketch, littéralement l'esquisse, le croquis –, selon lui, tient dans le fait de "chercher comment créer une vraie personne à travers les petits détails où son humanité va ressortir".

Du non-essentiel à l’indispensable

Mars 2020, premier confinement. Alors que les déclarations s’enchaînent, décrétant le secteur culturel non essentiel, une série de capsules postées en ligne se rendent peu à peu indispensables à une communauté en expansion. Qui, au fil des semaines, fait la connaissance de Bastien le producteur de cinéma français de qualité, Laurence la programmatrice de théâtre, Jade la grande girafe sensuelle au QI de 134, Daniel le papy péremptoire et sportif, Caro et ses objectifs de vie, Hélène l’agente immobilière, Marco l’intermittent, Dominique la belle-fille dévouée et d’autres.

À peine forcé, le trait croque à chaque fois une tranche d’humanité. C’est drôle, tendre, parfois cruel ; le tragique n’est jamais loin de cette comédie du quotidien égrené en dialogues plus vrais que nature.

Entre imagination et observation, le curseur de Thomas Poitevin oscille. "Il y a une petite cuisine qui intègre les deux. C'est une écriture assez impulsive, avec une part d'inconscient." Et si son regard sur la faune de ses contemporains prédomine, "le confinement a compliqué les choses, je ne voyais plus assez de gens", sourit-il.

Le retour du portrait

Les réseaux sociaux, de mal nécessaire à la communication ordinaire, ont revêtu un rôle neuf. Instagram en particulier, "réseau plutôt bienveillant", sur lequel cartonne @les.perruques.de.thomas, à l'instar d'autres comptes qui – comme chez Lison Daniel (@les.caracteres), Laura Felpin ou encore Anaïde Rozam – s'articulent autour de personnages récurrents, identifiés par un artifice (perruque, filtre…), fictifs mais très nourris de réel.

Thomas Poitevin y voit un "retour du portrait" et "la possibilité de faire de l'humour avec cet art-là". Lui-même avait créé, il y a quatre ans, un premier seul en scène fait de portraits, Les Désespérés ne manquent pas de panache, repris en 2018 dans le Off à Avignon – sans qu'aucune date en résulte. "Je me suis dit alors qu'il n'y avait pas de place pour ça… Mais c'est en train de revenir ! se réjouit-il. C'est pour moi une belle façon de montrer des humanités. Il y a des artistes de stand up que j'adore, mais je ne pourrais pas faire ça : être moi-même et aborder des sujets d'actualité. Je suis heureux d'avoir cet espace-là aujourd'hui."

Un petit espace construit seul au départ, "pour essayer des choses" avec un public qu'il imaginait limité. "Comme je suis un garçon ordonné, j'aime avoir un fil rouge. J'avais plusieurs perruques, issues d'autres projets. Ça m'intéressait de voir comment ça change mon visage, mon allure." Un accessoire donc, loin du fétichisme. "On n'est pas dans la grande perruquerie !"

Thomas joue ses perruques
©D.R.

Des capsules en ligne au plateau, le processus tient de la porosité entre le théâtre et l'image. "Je viens de la scène, j'y retourne." La production en ligne a été un outil dont il reconnaît l'utilité mais qui a, dit-il, "montré ses limites" et "poussé la nécessité de retrouver du vrai".

"On s'est beaucoup creusé la tête sur la dramaturgie, pour intégrer les perruques sans que je ressemble à un coton-tige coiffé d'un plumeau." Un jeu sur le cadrage et les échelles s'est imposé. "La scène, c'est une autre adresse, un autre engagement du corps. Chaque personnage a son petit univers, et comme dans les capsules un interlocuteur. Là c'est le public", résume celui pour qui "rien n'arrivera à mettre à mort le frisson essentiel de voir un acteur porter un texte à quelques mètres de soi".

Fra Angelico et Cindy Sherman

L'art du portrait est aussi, voire avant tout, pictural. À cette évocation, Thomas Poitevin cite aussitôt Fra Angelico, peintre italien du Quattrocento. "Il me touche depuis que je l'ai découvert dans un J'aime Lire, je devais avoir 8 ou 9 ans. Ses visages m'apportent une énorme émotion." Tout récemment, il a basculé dans l'univers "passionnant, drôle" de la photographe plasticienne américaine Cindy Sherman qui "avec son propre corps, son propre visage, crée des personnages fictionnels et cherche à travers eux ce qu'est une personne".

Du côté des arts vivants, le comédien volontiers spectateur aime "réfléchir et être ému en même temps, ressentir des choses physiquement par le rire notamment". Ces émotions, ces sensations, il les touve par exemple chez Romeo Castellucci dont Swansong a réveillé "une peur d'enfant" chez celui qui, en parallèle, se déclare aficionado des "grandes vedettes de l'humour" que sont Ricky Gervais, Muriel Robin ou Valérie Lemercier.

Thomas Poitevin, lui, est unique. Et délicieusement, passionnément, obstinément pluriel.

  • Bruxelles, Théâtre de la Toison d'or, les 11 et 12 octobre, puis du 2 au 12 février 2022 – 02.510.0.510 – www.ttotheatre.com

Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...