"Koulounisation" ou les méandres du sens

Avec la linguistique pour fil dramaturgique, Salim Djaferi signe une pièce passionnante, savante, limpide.

"Koulounisation" ou les méandres du sens
©Thomas Jean Henri

Il en avait révélé une étape – déjà très aboutie – en décembre 2020, lors de l'édition restreinte du festival Francophoniriques, à Avignon. Fraîchement créée aux Halles de Schaerbeek, la nouvelle version de Koulounisation sera de retour aux Doms le 9 décembre prochain, après une halte marseillaise en novembre.

Depuis la présentation à Épiscène, Salim Djaferi a rencontré d'autres personnes, étoffé l'écheveau déjà touffu de sa recherche. "J'ai notamment fait la connaissance d'un Syrien, directeur d'un théâtre du Off, très érudit et fin connaisseur de l'arabe classique", raconte le performeur et metteur en scène. Une porte d'entrée de plus pour l'enquête phonético-linguistique de Salim, né à Villepinte, en région parisienne, de parents algériens nés en France.

Acteur-enquêteur-orateur

Parmi les fils qu'il démêle dans Koulounisation, le trajet de ses ascendants se raccroche à celui de l'histoire franco-algérienne, sans s'y limiter pour autant. La vague coloniale fut énorme et multiple. Joué en Belgique, ce spectacle suscite, sous des questions semblables, d'autres échos. Si parler de sa propre famille n'était en rien une fin en soi, Salim Djaferi avait pour la scène un "besoin de matérialité". À travers des papiers, entre autres, son enquête se concrétise à la fois sur le fond et la forme – dans une scénographie conçue par Silvio Palomo et Justine Bougerol, et transformée en direct par le performeur.

Comment dit-on colonisation en arabe ? Cette question liminaire permet à l’acteur-enquêteur-orateur d’entraîner le public dans une sarabande de vocables dont les significations s’enchâssent, rebondissent, mettent en perspective l’histoire des nations, des luttes, des révolutions. Mais aussi de l’art, de la littérature. Voire encore de l’humain ordinaire aux prises avec la machine socio-économique.

Savante et documentée, la proposition de Salim Djaferi se révèle aussi d'une limpidité absolue, sans rien céder au simplisme. Et sous-tendue d'un humour qui jamais ne l'affaiblit. "J'aimais bien cette idée : l'ambition quasiment démesurée d'un grand spectacle décolonial, mais en partant d'un mot, de s'en étonner et d'y travailler pendant deux ans", confie-t-il.

Créé avec la complicité de Clément Papachristou (assistant à la mise en scène) et d'Adeline Rosenstein (dramaturgie), Koulounisation ose empoigner un sujet vertigineux et douloureux, que l'outil linguistique offre d'aborder non sans révolte mais avec calme, curiosité, empathie, intelligence – celle qui relie le cœur et l'esprit.

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