L’art de l’autre selon Isabelle Pousseur
Conférence-spectacle théâtrale et musicale, son "Éloge de l’altérité" révise les bases et voit large. Grand moment.
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Publié le 22-10-2021 à 12h53
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Un salon vintage avec fauteuils, table basse, bibliothèque. Un piano non loin. Un univers cosy scénographié par Christine Grégoire sur le vaste plateau du Théâtre Océan Nord – dont par ailleurs l’entrée, le foyer et le bar ont été agréablement réaménagés.
Round About Midnight de Thelonious Monk déroule ses volutes sous les doigts de Jean-Luc Plouvier. Chloé Winkel, actrice, se présente avant de présenter ses comparses et le programme de la soirée, en deux parties elles-mêmes découpées en plusieurs entretiens. Les comédiens Francesco Italiano et Paul Camus sont là, un peu en retrait encore. Isabelle Pousseur, directrice d'Océan Nord, metteuse en scène de plus de trente spectacles et opéras, pédagogue, va dialoguer avec Bogdan Kikéna, lui aussi metteur en scène, et qui fut son élève à l'Insas.
Conversation, transmission
La conversation s'engage sur base de la Conférence sur l'altérité d'Isabelle Pousseur, parue dans le numéro spécial qu'Alternatives théâtrales lui consacra en 2013 et dont le titre, Le théâtre art de l'autre, donne ici le cadre du premier entretien. Un fil tiré en entraînant un autres, les diverses formes de l'altérité au théâtre en général, et dans celui que pratique et enseigne la metteuse en scène en particulier, seront abordées avec autant d'esprit que de cœur.

Le souhait d'Isabelle Pousseur avec cette conférence-spectacle était d'inclure dans cette réflexion sur l'altérité au théâtre "la possibilité de penser autre chose que le théâtre : une vie collective".
C'est peu dire qu'elle y parvient tant Éloge de l'altérité expose, analyse, condense l'essence du rapport humain. Ainsi, mettre en scène suppose de "créer une équipe en même temps qu'un spectacle", estime celle qui, également, humblement, affirme : "Rien n'arrive si on refuse ce risque : se perdre".
Des mots qui résonnent, une pensée qui infuse
Ces mots qui résonnent, cette pensée qui infuse, donnent envie de les cueillir au vol. L'Océan Nord en a fait un fascicule disponible à petit prix, à la pause de ce spectacle fleuve dont la longueur, loin d'être un obstacle, offre une immersion sinueuse, ambitieuse mais aussi délicieusement simple et ludique dans cet art de l'autre. Cette somme : une carrière de 40 ans, où l'on croise auteurs et œuvres aimées (Proust, Kafka, Koltès, mais aussi Lynch et Twin Peaks…), souvenirs personnels (un épisode d'enfance aux USA), professionnels (les expériences au Burkina) et historiques (We Shall Overcome), où le jeu théâtral contamine peu à peu la forme conférence – quand vient le temps de questionner l'altérité du personnage, en convoquant Gilles Deleuze et le principe de son Abécédaire –, où s'exprime l'intime vertige de la douleur et du risque, où enfin la poésie s'invite en verbe (Un autre jour viendra de Mahmoud Darwich, par Amid Chakir, en arabe) puis en mouvement.

L’harmonie de la composition, toute écrite qu’elle soit, englobe l’immense générosité du propos et laisse couler la spontanéité d’un théâtre en perpétuel questionnement de lui-même, en constante construction de ce qui l’habite et de sa façon d’habiter la cité et le monde. Bouleversante nourriture pour nous qui, ici, maintenant, nous donnons la chance d’y goûter.
- Bruxelles, Océan Nord, encore les 22, 23 et 24 octobre, à 20h. Durée : 3h, pause comprise. Dans le cadre du festival Mouvements d'altérité – 02.216.75.55 – www.oceannord.org