Danses telluriques à la Biennale
"Earths" de Louise Vanneste et "The Dancing Public" de Mette Ingvartsen : soirée contrastée, étrangement cohérente.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/56207dc1-4449-4789-b3e7-11e31d796eb5.png)
Publié le 25-10-2021 à 13h20 - Mis à jour le 27-10-2021 à 14h33
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/3BK4GSRUI5A3BMFY4ETVHJYBCY.jpg)
Vendredi voyait le jour, aux Écuries de Charleroi danse, la nouvelle création de Louise Vanneste. Dans un dispositif bifrontal longeant un plateau au format 16:9, Earths dévoile quatre silhouettes, en blanc, sur un sol couvert de mousse. Le végétal impose ses textures qui, sous les éclairages somptueux d'Arnaud Gerniers, évoquent tantôt le fond d'un lac, tantôt les lichens sur un tronc abattu, tantôt les cimes d'une interminable forêt.
"Chaque danseuse est une cabane d'atmosphère venue de la nuit des temps", note la chorégraphe, dont on retrouve ici l'esthétique à la fois austère et généreuse, à l'écoute des flux, des frissons, des énergies en circulation. D'abord économe de sa propre amplitude, le mouvement évolue dans ses axes, ses rythmes, ses distances et ses rapprochements. D'une organisation rigoureuse et souple, l'ensemble manquait encore, à la première, du caractère organique inhérent à ces corps intimement englobés au paysage et formant peu à peu une communauté.

Earths s'accompagne d'un livret composé de dessins, notes et textes de Paula Almiron, Amandine Laval, Léa Vinette et Castélie Yalambo : partitions et traces produites durant le processus de création. Rien qui enserre l'imaginaire du public, librement absorbé par cette terre plurielle, précieuse et grave.
Danse-dissidence
Créé à Essen fin septembre et présenté mi-octobre au Kaaitheater à Bruxelles, The Dancing Public de Mette Ingvartsen réservait à la Biennale sa première en français. Dans ce solo accompagné – au milieu du public libre de se mouvoir dans l'espace scénique –, la danseuse et chorégraphe danoise (dont les Brigittines reprenaient récemment la toute première pièce, Manual Focus) emprunte l'esthétique du clubbing pour revisiter les périodes de l'histoire marquées de frénésies dansantes.
Partie de l’idée des "dance marathons" des États-Unis pendant la Grande Dépression des années 1930, Mette Ingvartsen a élargi le champ de ses recherches et sondé les "choreomanies", ces mouvements souvent collectifs de "folie dansante" attribués à des pathologies, mais aussi corrélés à des périodes de crise socio-économique. Des convulsions résultant de la peste noire aux manifestations de l’hystérie décrite par Charcot, en passant par les transes, les mauvais sorts, ou encore la danse dite de Saint-Guy, le voyage qu’elle propose est historique, scientifique, sociologique, politique même, sondant ce que les corps dansant ensemble portent en eux de dissidence.
Imaginée bien avant la survenue du covid, mise au point dans la grande parenthèse de 2020, la pièce s’irrigue abondamment aujourd’hui de cette célébration : la foule et ses entités mouvantes, le rassemblement social, festif, voire extatique, après la longue réclusion pandémique.

Fête de retrouvailles, The Dancing Public est aussi le récit poétique et rythmique des matières traversées. "Ce soir, on va danser, mon corps va danser, nos corps vont danser…" La parole accompagne le mouvement, spoken word, slam, rap, flow, chant. La performeuse donne corps aux mots qui serpentent, s'enroulent, cascadent. Arpente la superficie de la salle, escalade les praticables, traverse les états qu'elle décrit sans s'enfermer jamais dans l'illustration.
Son langage chorégraphique s’hybride à tous les genres, épousant les boucles de son mixées en direct, dans l’atmosphère que sculptent les lumières de Minna Tiikkainen. Une puissance fascinante, tellurique, communicative. Une invitation à prolonger l’instant, ensemble à nouveau.
- "Earths" de Louise Vanneste sera les 23 et 24 novembre 2021 aux Halles de Schaerbeek, et le 26 janvier au Théâtre de Liège, dans le cadre du festival Pays de Danse.
- "The Dancing Public" de Mette Ingvartsen tourne en Europe et sera notamment, en V.F., le 24 novembre à Roubaix dans le cadre du festival transfrontalier Next, et du 15 au 17 décembre au Festival d'automne à Paris.
- Biennale de Charleroi danse, jusqu'au 29/10. Avec encore "Omma" de Josef Nadj (27/10, Écuries), "Ecdysis" de Jérôme Brabant (27/10 au 140 à Bruxelles, 29/10 aux Écuries à Charleroi), "D'un rêve" de Salia Sanou (29/10, Écuries), "Afternow" de Nora Chipaumire (Raffinerie, jusqu'au 29/10). Infos, rés. : 071.20.56.40 – www.charleroi-danse.be