Émilie Guillaume, la Jackie Chan belge
De la Belgique à la Chine en passant par l’Angleterre et le Canada, la comédienne et cascadeuse Émilie Guillaume a un parcours atypique. En ce moment, elle règle les chorégraphies de combats de la nouvelle création du Théâtre royal du Parc, “Peter Pan”. Une pièce originale écrite par Thierry Janssen.
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Publié le 01-11-2021 à 10h14 - Mis à jour le 18-11-2021 à 09h03
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Une gourde et quelques fraises entières. Ce midi-là, le repas de la comédienne et cascadeuse Émilie Guillaume sera sain, mais frugal. "Pour tenir physiquement, il faut veiller à son alimentation. En général, je ne mange pas beaucoup la journée, car je n'aime pas avoir le ventre lourd pour jouer, travailler, bouger… Donc, je mange un peu de protéines (une petite omelette, par exemple) et des fruits pour avoir des vitamines", explique-t-elle. Après plus de six semaines de représentations des Chevaliers de la Table Ronde, spectacle épique dans lequel elle jouait une Elfe et dont elle a réglé les chorégraphies de combats et les acrobaties aux côtés du maître d'armes Jacques Cappelle, la voici à nouveau à l'affiche du Théâtre royal du Parc en tant que chorégraphe des combats de Peter Pan, une pièce originale de Thierry Janssen (lire notre entretien ci-dessous) à découvrir dès le 11 novembre.
Belmondo, James Bond... et Jackie Chan
Comédienne et cascadeuse. Voilà un alliage peu commun qui trouve ses origines dans les deux grandes passions d’Émilie Guillaume pour le théâtre et les sports d’action.
Née à Bruxelles en 1984, elle s'éprend de la scène dès l'enfance grâce à sa maman qui l'emmène voir des pièces et l'inscrit à des cours de théâtre à l'âge de dix ans. "Mon premier prof n'était autre que Thierry Janssen, sourit-elle. Il venait de sortir de l'IAD et a mis en scène un spectacle qui s'appelait Pinocchio dans lequel jouaient, notamment, six enfants. Je crois que, parmi ces six enfants, nous sommes quasi tous devenus comédiens professionnels tant il nous a donné cette passion du théâtre. Aujourd'hui, c'est marrant de se retrouver à travailler avec lui sur Peter Pan".
Dans le même temps, fillette "un peu garçon manqué", "j'adorais faire du sport (skateboard, football…), se souvient-elle. Mon rêve, c'était d'arriver à faire des saltos arrière, de la boxe, etc. Mais, à l'époque, il n'y avait que les vieux cours de judo, de karaté pas très passionnants. Donc, je me contentais de jouer à la bagarre, à la lutte avec mes copains dans la cour de récré". Il faut dire que "très jeune", elle se passionne pour le cinéma d'action. "Avec ma tantine qui me gardait après l'école, on regardait tous les films de Belmondo, qui faisait ses cascades lui-même ; de Jean Marais et ses combats de cape et d'épée ; tous les James Bond… Ce n'est que plus tard, à l'adolescence, que j'ai découvert le cinéma chinois avec Bruce Lee et Jackie Chan. Ça a été une révélation !" Mais, là aussi, la jeune femme se heurte au manque de possibilités de cours – elle voulait faire du Kung Fu, encore peu développé à l'époque.
“Tu devrais porter des jupes et des talons”
C'est sur les bancs de l'IAD qu'elle renoue avec son goût, alors un peu endormi, pour les sports de combat. "Jacques Cappelle donnait une formation en escrime, qui était vraiment très chouette et que j'aimais beaucoup, poursuit-elle. Parallèlement à cela, j'ai commencé à pratiquer de l'acrobatie martiale, un sport qui s'appelle le trickz". Si la jeune étudiante s'investit pleinement dans son cursus de comédienne, elle essuie de nombreuses critiques eu égard à son profil de sportive. "On n'a pas arrêté de me dire que j'étais trop sportive, trop musclée ; que j'étais là pour jouer et non faire de la gymnastique sur scène ; que je devais développer ma féminité, porter des jupes, des talons et du rouge à lèvres à la place de mes baskets et trainings."
Pas de quoi toutefois la décourager. Bien au contraire ! "Je me suis dit que plutôt que de m'interdire ce côté sportif, j'allais le développer à fond, se rappelle-t-elle. Je me disais que le trickz conviendrait parfaitement sur scène, dans des cascades, etc. par son côté démonstratif. Et c'est là que j'ai décidé de devenir cascadeuse, pour pouvoir allier ma passion du jeu à celle du sport mais aussi en faire ma carte de visite afin de me démarquer des autres comédiennes". Stage de cascades, cours de boxe française, de taekwondo… Émilie Guillaume complète un maximum ses aptitudes en marge de ses études à l'IAD, "mais je voulais une formation intense qui me permette en un an ou deux d'atteindre un très bon niveau". Elle se met alors à faire quelques recherches sur le parcours de "son héros", "celui qui m'a donné envie de faire tout ça" : Jackie Chan. "J'en suis incroyablement fan parce que, non seulement, il est fort en arts martiaux, mais, qu'on l'aime ou pas, c'est aussi un excellent comédien, car il a une super créativité scénique." Elle découvre ainsi qu'il a été formé à l'Opéra de Pékin. Faute de savoir danser et chanter, elle se retourne vers l'École du cirque de Pékin, qui comprend une section cirque ainsi qu'une section wushu ("arts martiaux" en chinois ou kung-fu chez nous). Et donc, à 23 ans, son diplôme de l'IAD en poche, "je suis partie en Chine".
Six jours sur sept, de 8 h à 20 h
Avec, dans son sac à dos, quelques économies et sa méthode Assimil de chinois, elle débarque à Pékin parmi 500 élèves chinois. "C'était trop bien d'être là-bas ! Ça m'a fait du bien de m'entraîner à fond pendant un an et demi, deux ans, s'enthousiasme-t-elle. C'était super intensif, mais pas du tout adapté à un corps de 23 ans ! Je n'avais cours qu'avec des enfants et des ados". Les cours sont organisés six jours sur sept, de 8 h à 20 h, avec un premier échauffement à 6 h du matin. "Je suis arrivée là-bas en sachant exécuter un salto arrière, mais, après la première semaine de cours, j'avais tellement mal partout – mes muscles étaient lourds, courbaturés, défoncés – que je n'ai plus réussi à faire mon salto arrière pendant trois mois…"
Malgré la barrière de la langue et la différence d'âge et de niveau, elle s'intègre assez aisément aux élèves. Quant aux professeurs, c'est à force de ténacité et d'abnégation qu'elle a réussi à gagner leur respect. "Certains avaient tendance à me parquer un peu dans un coin. Par exemple, en wushu, on m'a laissé tourner mon épée pendant deux mois sur le côté du tatami. Mais c'est comme cela qu'ils apprennent. Il faut que cela devienne instinctif."
Chorégraphier : se documenter en amont
Appelée sur divers spectacles de cirque en Espagne et en Angleterre, elle quitte la Chine au bout de deux ans. Puis, multiplie les projets en Belgique, au Canada, etc. "Et, il y a huit ans, lorsque Jacques Cappelle a arrêté de donner cours à l'IAD, on m'a proposé de le remplacer pour enseigner la chorégraphie de combats aux futurs comédiens." Depuis, Émilie Guillaume – qui fait également du doublage de voix, "mon petit repos", rit-elle – a "beaucoup de travail", "pour le théâtre, toujours avec ma double casquette de comédienne et d'acrobate, ou en tant que chorégraphe de combats".
Régler un combat à mains nues, à l'épée, au bâton… ; des acrobaties… "prend beaucoup de temps", souligne-t-elle. Pour imaginer les chorégraphies, "je travaille beaucoup en amont, en effectuant un gros travail de documentation (vidéos, lecture de la pièce…). Puis, avec mon compagnon qui est circassien, on fait des impros de combats, on cherche des mouvements…" Ensuite, "je 'dessine' le combat, j'apprends les mouvements aux comédiens, mais cela se fait très lentement. Puis, peu à peu, séquence par séquence, on essaie d'accélérer, avant d'adapter la chorégraphie au décor". Une chorégraphie qu'il faudra répéter encore et encore, parfois des centaines de fois, jusqu'à ce que les mouvements deviennent naturels.
Pour Peter Pan, il y a deux combats, précise Émilie Guillaume, l'un au milieu de la pièce et l'autre, à la fin. "Pour le premier, je souhaitais montrer la personnalité de Peter Pan. J'avais envie d'utiliser l'univers de l'enfance, du jeu. Je voulais quelque chose qui fasse un peu cartoon , un peu dessin animé, détaille-t-elle. Le combat final est, lui, un peu plus traditionnel, épée contre épée".
Le machisme et le sexisme ? “Ça m’a glissé dessus”
Petit bout de femme, blonde, punk, "c'est clair que quand on me voit, je n'ai pas l'air de la 'maître d'armes' a priori, s'amuse-t-elle. Donc, je dois très vite pouvoir montrer de quoi je suis capable, surtout en tant que femme experte en combats". Dans ce métier, le machisme, le sexisme, "c'est clair que ça existe", mais "ça m'a glissé dessus, car j'ai une personnalité, du répondant. Je n'ai jamais eu peur d'affronter les hommes".
Sa passion chevillée au cœur et au corps, "je m'entraîne tous les jours une à cinq heures par jour (acrobatie, corde à sauter, boxe…) et je continue à me former. Mais plus on s'entraîne, plus on tire sur la corde." À 37 ans, donc, "j'essaie de faire hyper gaffe au repos et à la nutrition". Et si le corps, inévitablement, encaisse à mesure que le temps passe, "j'espère pouvoir continuer le plus longtemps possible". "Voyez, à 72 ans, Jacques Cappelle chorégraphie toujours des combats."

3 questions à Thierry Janssen, auteur de "Peter Pan"
1/ Pourquoi avoir choisi “Peter Pan” ?
Au départ, c'est Thierry (Debroux, directeur du Théâtre royal du Parc, NdlR) qui m'a proposé "Peter Pan". C'est une histoire, un personnage qui a bercé toute mon enfance, comme "Alice au pays des merveilles" ou Sherlock Holmes, que j'ai pu adapter ici, au Parc. La particularité, c'est que Thierry désirait une histoire originale sur Peter Pan. Donc, cela a été tout un travail. J'ai lu deux biographies de James Barrie et, peu à peu, cela m'a aiguillé sur des idées. J'ai également lu "The Little White Bird", paru avant la pièce "Peter Pan" et où c'est la première fois qu'il est fait mention de Peter Pan. C'est ce qui a un peu mis le feu aux poudres dans mon imaginaire. Je me suis dit que si j'écrivais une suite, autant s'atteler aux origines du personnage, qui sont racontées dans "The Little White Bird". Donc, cet oiseau blanc, mystérieux est devenu très présent dans cette nouvelle histoire.
2/ Émilie Guillaume règle les chorégraphies de combats de “Peter Pan”. Juste avant, elle a aussi joué à vos côtés dans “Les Chevaliers de la Table Ronde”. Qu’est-ce que cela vous fait de retrouver votre ancienne élève ?
Sur “Les Chevaliers de la Table Ronde”, c’est la première fois qu’on a eu la chance de se retrouver ensemble sur le plateau. C’est très émouvant. Sur “Peter Pan”, elle règle brillamment les chorégraphies de combats. Elle a un univers très particulier, très riche car ce ne sont pas seulement des combats d’épée.
3/ La réalisation de “Peter Pan” a été confiée à Maggy Jacot et Axel De Booseré…
Oui, j’adore leur travail depuis des années. Autant dans “Les Chevaliers”, on était dans une mise en scène assez moderne avec des projections, etc., autant, ici, Maggy Jacot et Axel De Bosseré utilisent plein d’artifices du théâtre. Donc, il n’y aura pas de projections et la magie arrivera différemment sur le plateau.
EN PRATIQUE
Quoi ? Auteur, comédien et metteur en scène, Thierry Janssen (Chaplin, Le Tour du monde en 80 jours…) s'est inspiré de l'œuvre de l'Écossais J.M. Barrie pour en écrire une suite : Peter Pan. On y retrouvera les incontournables : Peter Pan, le capitaine Crochet, la fée Clochette et les Enfants perdus, "mais surtout pas mal de surprises…", promet-il. L'histoire ? Peter, après avoir choisi de s'installer dans notre monde, a grandi et tout oublié de son enfance fabuleuse. Un "spectacle joyeux"réalisé avec le concours de Maggy Jacot et Axel De Booseré.
Où et quand ? Au Théâtre royal du Parc, du 11 novembre au 11 décembre. À partir de 8 ans.
Infos et rés. au 02.505.30.42 ou sur www.theatreduparc.be