De la toxicité du mâle chez Proust
Jessica Gazon et Thibaut Nève font chauffer "Marcel" sur le gril de questions très actuelles. Création au Théâtre de la Vie.
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Publié le 12-11-2021 à 20h00 - Mis à jour le 15-11-2021 à 09h39
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Lui, en robe de chambre, debout. Elle, en satin sombre, allongée sur le sofa. Un vrombissement sourd. Une suggestion de parquet, une esquisse de baie vitrée dont les rideaux s'ouvrent sur un jardin venteux. Le dialogue qui s'installe par bribes évoque La Prisonnière : Albertine installée chez le narrateur, qui l'interroge avec obstination sur ses faits et gestes, la soupçonnant d'être attirée par les femmes. Voilà pour les premières minutes de Marcel.
À propos de cette nouvelle création, le Théâtre de la Vie maintient une communication volontairement évasive. Où il est question d’une carte blanche offerte à la Cie Gazon·Nève, d’un rêve de Proust fait par Thibaut Nève, du souhait d’explorer à travers son œuvre le rapport homme-femme, et plus précisément la masculinité toxique.
Une idée de Thibaut, apprend-on, lui-même en plein questionnement de genre et de son rôle en tant qu’homme.
Entre Marcel et Albertine, le dialogue se poursuit, pétri de conventions, d’esquives, de non-dits, sous-tendu de curiosité et jalousie.
Albertine disparaît !
Quand soudain… coup de théâtre. Albertine disparaît ! Ou du moins une brèche s’ouvre. Ce soir-là, Jessica n’est pas en mesure de se couler dans ce rôle, fût-ce au prétexte de déconstruire les schémas du patriarcat par le prisme d’un des auteurs majeurs du XXe siècle - que son comparse comédien a abondamment lu et étudié.
Conçu en trio avec Morena Prats, leur duo s'appuie sur le parcours de la compagnie, sur son observation du réel et de la fiction, du mensonge à l'œuvre dans le récit, son travail sur l'autofiction (de Toutes nos mères sont dépressives à Celle que vous croyez ) – parcours où peut se lire l'interrogation récurrente des rôles genrés.
Les costumes d'Élise Abraham, la scénographie d'Aurélie Perret, les lumières de Guillaume Toussaint Fromentin accompagnent l'entreprise : de la représentation soignée des codes bourgeois à leur démontage en règle. "Ça doit pouvoir être encore proposé, mais ça doit aussi pouvoir être refusé."
Invoquant Mona Chollet, Ivan Jablonka, Chantal Akerman (qui tira de La Prisonnière de Proust sa Captive) et la difficulté de se conformer aux modèles masculins aujourd'hui, le discours de l'un rebondit sur la fermeté résolue de l'autre. "Moi ce que je voulais c'était convoquer l'universalité du désir !" s'époumone-t-il. En vain : son vœu se heurte sans appel à "l'événement, comme dit Annie Ernaux : quelque chose qui fait qu'on ne sera plus jamais pareil". L'inéluctable et jouissive mutation du système.
- Bruxelles, Théâtre de la Vie, jusqu'au 20 novembre, à 20h – 0489.151.551 – www.theatredelavie.be
- Rencontre après-spectacle le vendredi 19/11 avec Thibaut Nève, Jessica Gazon et Morena Prats.