Le slam, poésie rêvée pour dire l’injustice
Des élèves ont slamé leur désobéissance au National. Avec Marie Darah et les Midis de la poésie.
- Publié le 16-02-2022 à 12h23
- Mis à jour le 16-02-2022 à 12h24
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Le slam, des jeunes, la désobéissance et la scène du Théâtre National pour dire l'injustice vécue… Tous les ingrédients étaient réunis pour faire de ce Midi de la poésie du 15 février, Comment s'inventer soi-même, un instant criant de vérité. Quoi de plus remuant qu'une jeunesse debout, les yeux ouverts sur le monde et le verbe inspiré pour dénoncer l'inacceptable et défendre les droits humains ?
Rahma, 17 ans, voilée, ouvre la danse : "Chaque matin, chaque jour d'école, je dois enlever une partie de moi. Une partie de ma liberté qui s'enfuit… mon voile […] Pointée du doigt, j'ai entendu : '[…] enlève ce chiffon, terroriste, tu fais peur à nos enfants'. Terroriste… la seule terrorisée, c'était moi."
Du je, Rahma passe au nous. Son texte n’a pas été construit au hasard mais selon les consignes de la slameuse Marie Darah qui a animé deux heures d’atelier d’écriture avec des élèves de l’Institut Montjoie de Uccle et du Centre scolaire de Ganshoren, textes amenés à être lus sur la scène dans le cadre des Midis de la Poésie et du festival Désobéissance actuellement à l’affiche du National.
Il s’agissait donc chaque fois, en cinq couplets, de dénoncer une situation d’injustice, de commencer par un regret, de passer à l’hyperbole et à l’accumulation, d’utiliser la rime et l’allitération, la métaphore ou la comparaison à l’aide d’oxymores pour créer un malaise puis, enfin de rendre justice en basculant vers le nous.
Il résulte, de ces contraintes d’écriture, une salve de slams scandés par une quinzaine de jeunes de plus en plus volontaires, au fil de l’atelier, pour monter sur scène. Du délit de "sale gueule" au harcèlement en passant par de véritables violences policières, chacun a connu l’inacceptable. L’heure a filé à l’allure de l’éclair, ponctuée par les interventions de l’artiste et de la juriste Céline Romainville, vice-présidente de la Ligue des droits humains qui a indiqué aux jeunes comment agir et où porter plainte.
Portant beau ou sport, chacun, encouragé par les snaps (claquements de doigts en guise d'applaudissements) a convaincu l'assemblée : "J 'aurais voulu lui planter mon peigne afro… cette tête de foire à la peau noire."
Poing levé
Les mots fusent et s'entrechoquent, slamés parfois le poing levé. À l'issue de la représentation, Rahma nous confie : "J'ai trouvé intéressant que chacun puisse faire part de sa sensibilité, s'exprimer malgré les appréhensions des autres. Chacun a clamé son injustice et tout le monde voulait montrer qui il était. Malgré ce malheur, j'ai eu un peu de bonheur. Partout où je vais, il y a ce problème du voile. On n'entend pas assez le point de vue des personnes concernées." À ses côtés, Rania Bouker a également écrit un texte mais elle était trop stressée pour le lire sur scène. Les larmes lui montent aux yeux. Basketteuse dans une équipe flamande pluriculturelle, elle entend souvent, derrière les vitres, les coups et insultes des parents de l'autre équipe. C'est en écrivant son texte que Rania a pris la mesure de la violence dont elle est victime.
Un exemple de slam : Parfois, je me dis sincèrement que la société n'a aucun sens
Quand un problème surgit, c'est toujours la faute de ceux qui sont différents
Bah ouais si y a moins de travail ici c'est à cause des migrants
Et si nos fils et nos filles sont dérangés c'est à cause des trans
L'humain a toujours fonctionné aux préjugés et aux clichés
Et j'trouve qu'c'est plus vraiment sensé de dire qu'ça ou ça c'est inhumain
Genre Papi et mamie dansent la salsa dans le salon
Alors qu'ils voient Escobar chez tous les Mexicains
Je vois encore tata et tonton qui font les moutons
Quand ils partagent sur Facebook une rumeur sur les Marocains
J'leur dis qu'faire ça c'est comme alimenter une boule de canon
Qui va sûrement tout détruire un moche p'tit matin
En vrai je parle que des croyances sur les étrangers
Mais ça c'est que la surface de l'iceberg
On dit souvent qu'une meuf aux cheveux colorés
Est sûrement pas capable de connaître Gutenberg
Y a des incohérences partout
Et j'maudis tous ces incompétents
La religion est synonyme de paix et amour
Alors qu'des cons l'utilisent pour insulter les gens
J'entends des hypocrites cracher sur l'port du voile
D'la même manière qu'ils pestent sur l'prix du gasoil
Tout en glorifiant les nonnes comme des femmes modèles
Nan mais franchement un peu de logique bordel
Bref tout ça pour dire qu'on vit dans un monde constamment en conflit
L'avis des gens se confond au milieu des conneries
On est convaincu que ce qu'on dit est cohérent
Mais la vie fait qu'on restera subjectif pour l'restant des temps
Evan