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I Silenti, chant bouleversant au peuple rom

I Silenti de Fabrizio Cassol, évoque le génocide des Roms mais est aussi une ode à la vie.

©Kurt Van Der Elst

I Silenti est un concert unique en son genre, mêlant Monteverdi et la musique rom, y ajoutant un peu de danse, d'opéra et de théâtre. Il rend hommage à l'âme rom, à leur génocide trop oublié et à tous ceux qui sont condamnés au silence.

Après des reports dus au Covid, on peut enfin le découvrir à Bruxelles au Théâtre National et ensuite à Namur. Une soirée souvent bouleversante créée par Fabrizio Cassol, ce génial aventurier d'expériences musicales transculturelles, le complice d'Alain Platel dans les inoubliables Coup fatal et Requiem pour L.

Sur scène, il y a le musicien aveugle Tcha Limberger, violoniste rom virtuose, chanteur, roi de la musique manouche, qui, nous expliquait Cassol, « ne joue pas de la musique, il est musique, capable de faire vivre tous ces sangs nomades qu'il a croisés. »

©Kurt Van Der Elst

Autour de lui, la voix cristalline de la soprano américaine Claron McFadden et celles de Nicola Wemyss et Jonatan Alvarado, la danseuse indienne Shantala Shivalingappa et des musiciens venus des quatre coins de la planète, comme l'accordéoniste Philippe Thuriot et Georgi Dobrev, joueur bulgare de kaval.

Le spectacle sonde le silence entourant le Porajmos, l'Holocauste des Roms. Fabrizio Cassol a osé mêler des musiques a priori bien différentes: des chants nomades roms ou grecs avec les sublimes madrigaux aristocratiques de Monteverdi composés entre 1587 et 1638, la première musique vocale de notre tradition écrite à exprimer les émotions humaines avec leurs drames, leurs passions et leurs joies.

Le regard des enfants

Ces madrigaux deviennent, dans I Silenti, les lettres imaginaires que les Roms n'ont jamais pu écrire et rappellent le silence forcé de ce peuple oublié.

Dans cette polyphonie empreinte de nostalgie, il est question d'amour, de guerre, d'exil, de déracinement... On se laisse porter par ce voyage jalonné de grandes photographies anciennes, en noir et blanc projetées sur tout le fond de scène, avec le bref rappel des corps amassés dans un charnier, puis les visages en gros plans de Roms enfermés par la folie d’Hitler et promis à la mort. Leurs visages nous interrogent sur notre impuissance à les sauver. On retrouve ce même regard aujourd’hui chez des enfants roms, en rue, qui demandent l’aumône à des passants qui les rejettent…

©Kurt Van Der Elst

La sobre mise en scène de Lisaboa Houbrechts travaille les thèmes de l’ombre et de la lumière, du silence et de la cécité. La mort et la vie, la joie et la peine sont liés. Les grandes photographies deviennent floues comme le passé qu’on veut oublier, ou elles se couvrent peu à peu du noir de la mort ou du sang des 800000 Roms assassinés par les nazis.

La fin est magique, avec le doux chant à l’unisson de tous réunis et l’image rouge écarlate pour exprimer l’indicible.

I Silenti, chant de deuil, est aussi un appel à la vie, et même à la danse, preuve que l'art et la musique peuvent apporter un peu de compassion nous disait Cassol, un peu de partage des souffrances et des frayeurs, mais aussi de beauté et de vie.

--> I Silenti, au Théâtre National, jusqu’au 25 février et au Théâtre de Namur du 5 au 8 mars.