"Les théories du complot sont des mythes qui permettent d’appréhender le monde"
En Gaume, ce week-end, on raconte des histoires. Il y a des mythes partout.
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Publié le 08-07-2022 à 12h12
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Jean-Loïc Le Quellec est un anthropologue et un préhistorien français. Il sera en Gaume samedi prochain, dans le cadre du Festival interculturel du conte de Chiny. Spécialiste des mythes et légendes que les hommes se racontent depuis qu’ils sont hommes, il éclaire pour nous le rôle du mythe dans la société, le mythe qui n’est pas seulement ce vieux truc poussiéreux à base de dieux grecs énervés et de serpent bavard qui tente les filles.
Nous allons parler de conte à Chiny tout ce week-end, mais comment fait-on la différence entre un mythe et un conte ?
D'abord, il y a peu de différences. Ce sont des récits transmis généralement de façon orale qui nous éclairent sur le monde. Souvent, dans les mythes, les héros sont des dieux ; dans les contes, ce sont des personnages archétypaux : le loup, le chasseur, l'ogre. Dans les mythes, ils ont des noms ; dans les contes, ils sont anonymes ( le Petit Chaperon rouge, NldR ). Ce qui les différencie, c'est surtout la manière dont on les raconte. Le mythe dit une vérité sur le monde dans lequel il s'énonce. Par exemple, pour les catholiques, le péché originel explique comment l'homme est devenu mortel et a dû quitter le paradis.
Notez d'ailleurs qu'on ne raconte pas les mythes à n'importe quel moment. Ils disent quelque chose de vrai sur le monde, dans la bouche de ceux qui parlent et pour les oreilles qui les écoutent. Et pourtant, notez bien que, dans la culture d'à côté, on va raconter une autre histoire pour expliquer la fin du paradis, par exemple. Donc cette histoire sera tenue pour un mythe. Le mythe est donc toujours " celui du voisin ". C'est pourquoi il est si difficile de voir ses propres mythes. Nos propres mythes, nous les prenons pour la vérité. Tandis que nous regardons les vérités des autres comme des mythes.
Pourquoi est-il encore utile de partager les grands mythes au XXIe siècle ?
Je ne sais pas si c’est utile, mais, en tout cas, cela se fait tous les jours. Quand on parle de mythes, on pense tout de suite à la mythologie grecque, peut-être élargie à d’autres époques, aux légendes scandinaves ou celtes, et on ne pense jamais aux mythes contemporains. Alors qu’il y a des mythes tout le temps, dans toutes les cultures. La question, c’est plutôt : comment se fait-il qu’on ait oublié notre propre mythologie ?
Ces grands mythes qui nous entourent, quels sont-ils ?
Il convient de se mettre d'accord sur ce qu'on entend par le terme "mythe". Selon moi, c'est un récit qui fait état d'une rupture et qui expose qu'autrefois, dans une période imprécise - "naguère" -, les choses étaient comme ceci ou comme cela. Il s'est passé quelque chose et cet événement fait que, maintenant, les choses sont différentes. Tous les mythes d'origine de la mort disent, au départ, que les hommes n'étaient pas mortels. Exemple, dans la Bible, Ève croque la pomme et, boum, c'est une faute féminine qui justifie que nous mourrons.
Si le mythe intervient pour expliquer une crise, peut-on imaginer les inventer pour calmer les foules ?
Le mythe est moins une explication qu’une justification. Ce n’est pas scientifique. D’ailleurs, ce n’est pas parce que la science est apparue que les mythes ont disparu. Le mythe donne du sens au monde, justifie un point de vue éthique et moral et rend une situation supportable.
Le mythe a donc une fonction psychologique : encadrer peurs et craintes ?
Le mythe fait partie de ces choses qui rendent le monde habitable face à l’idée que rien n’a de sens, ce qui est rude à vivre.
Pourriez-vous nous parler d’un mythe récent ?
Durant la campagne présidentielle en France, on a beaucoup parlé du mythe du Grand Remplacement. Ce récit qui nous explique qu’autrefois tout allait bien : les Africains étaient en Afrique, les Asiatiques en Asie. Il s’est passé quelque chose, un plan ourdi par les élites, et maintenant c’est catastrophique, nous sommes envahis, nous allons être remplacés par les étrangers, notre civilisation est en péril. Nous raconter cette histoire a pour but de nous assurer d’un récit qui donne du sens à ce qu’on observe.
Le mythe peut donc avoir une coloration politique ou idéologique ? On est au bord du récit complotiste quand on vous entend parler ?
Les actuelles "théories du complot" ne sont, pour moi, que des mythes qui permettent d’appréhender le monde, non pas par une explication rationnelle, avec chiffres et statistiques. Le plus important, c’est de raconter une histoire, simple. Et nous avons tous une appétence pour les histoires ! Lorsqu’on écoute un mythe, on suspend son regard critique.