Entre Liège et Séoul, “Strange Beauty”, hybride poème scénique
En quête de la beauté telle qu’elle s’appréhende par-delà les cultures, le metteur en scène Yosup Bae s’entoure d’artistes aux spécialités diverses qu’unit le fil de la méditation. Rencontre.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/56207dc1-4449-4789-b3e7-11e31d796eb5.png)
Publié le 13-12-2022 à 10h28 - Mis à jour le 13-12-2022 à 10h33
:focal(2121x1422.5:2131x1412.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/5CJWQUUXWZFT3NODCYXPFKD26M.jpg)
Depuis plusieurs années, le Théâtre de Liège entretient un lien particulier avec divers opérateurs culturels de Corée du Sud. Ce fut le cas notamment lors de la création de Nativos, par la chorégraphe Ayelen Parolin et la pianiste Lea Petra avec la Compagnie nationale coréenne de danse contemporaine (KNCDC), en 2016, ou encore avec la chorégraphe et performeuse coréenne Eun-Me Ahn lors du festival Pays de danses.
C’est à présent avec la National Theater Company of Korea que s’est noué le contact et qu’a germé une coproduction croisée entre les deux institutions et des artistes d’ici et de là-bas.
Si la notion de beauté et ce qu’elle représente pour chaque personne sous-tend Strange Beauty, Yosup Bae fait remonter les racines du projet à la méditation zen. Autour, en effet, de cette question : “pourquoi l’être humain ou la nature cherchent toujours la beauté”.
La beauté vécue, non la beauté ultime
La beauté comme expérience vécue plutôt que comme constat esthétique. “La beauté que nous recherchons, c’est la beauté vécue, ressentie, pas la beauté ultime”, avance le metteur en scène, fondateur en 2001 du collectif artistique Tuida. Le vécu fait matière chez ce créateur qui, ayant quitté Séoul en 2010 pour s’installer à Hwacheon, petite ville de la province de Gangwon, y expérimente de nouvelles formes artistiques, à la fois influencées par son cadre de vie, créant des ponts entre théâtre et art, et nourries des matériaux textuels ou visuels de ses créations précédentes.
À l’origine de Strange Beauty, Yosup Bae a proposé à l’équipe “des expériences au temple, en Belgique comme en Corée”. Le covid est passé par là et a mis en pause l’aventure, qui a repris ensuite. Retraite silencieuse – afin de toucher à l’essence d’être là, ensemble, sans parler –, pratiques méditatives (”chaque personne a, à sa manière, continué à méditer avec les apprentissages du temple”)… Le travail s’est poursuivi avec le livre chinois du XIIIe siècle Gateless Gate (la porte sans porte), recueil de 48 kōan – courts échanges entre maître et disciple ou brèves anecdotes énigmatiques ou paradoxales – dont 10 ont été sélectionnés.
”Chaque artiste-interprète a fait une proposition en lien avec une de ces phrases. En deux semaines d’atelier autour de ces kōan, on a abouti à environ 35 pistes. Quelques-unes d’entre elles ont été retenues, et réinterprétées par tout le groupe”, explique le concepteur et metteur en scène, insistant sur la dimension collective de cette création.
Je n'ai pas écrit du tout. J'ai plutôt été un guide pour accompagner le chemin. Nous avons fait les choix tous et toutes ensemble.
Strange Beauty a ainsi vu le jour et pris forme en articulant “toutes les propositions interprétées, améliorées”.
Les matières, la manière
Caractérisé par la juxtaposition et le dialogue des matières – bois, peinture, fil, image, son, mouvement, mots… –, le spectacle est le fait d’artistes dont les spécialités diverses se retrouvent au générique aux côtés du concepteur Yosup Bae: Hyeran Hwang (interprète, actrice et dramaturge), Clément Thirion (interprète et metteur en scène), Maria Clara Villa Lobos (interprète et chorégraphe), Paola Pisciottano (interprète et créatrice sonore), Aimé Mpane (interprète et plasticien), Yongseok Choi (créateur et archiviste vidéo), Jeonghee Kang (créatrice lumières). Sans oublier Jeanne Berger (assistante à la documentation et à la mise en scène) et Jongcheon Wee (aide à la traduction, y compris lors de cette rencontre).
Faut-il lire dans Strange Beauty une esthétique ou un esprit particulièrement coréen ? “Pas spécialement, hormis la méditation zen. Mais en travaillant avec des artistes dans un contexte international (Inde, Japon, Australie, Europe…) j’ai découvert que d’autres cultures et religions ont aussi ce genre de pratiques: cela n’appartient pas qu’aux adeptes du bouddhisme mais se retrouve de manière assez universelle.”
Dévoilé une première fois en août au Festival de Spa (”une vérification de comment on va vers un public, un essai, car on n’avait aucune idée de ce que ça allait donner”), le spectacle a été présenté à Séoul en septembre, après une nouvelle résidence d’une semaine et une série d’ajustements. “On a remplacé la scène du dessin par le “blind painting”, notamment” – où les interprètes, les yeux bandés de fils de laine, tracent des formes sur la paroi blanche de la salle.
“Quelques séquences, issues de propositions précédentes, ont aussi été ajoutées. Sans tout bouleverser, comme l’espace a changé, l’ensemble donne une impression totalement différente. L’équipe a travaillé ensemble jusque fin septembre en Corée. Hier on s’est rencontrés à nouveau, au bout de trois mois”, sourient Yosup Bae et son traducteur à quatre jours de la première à Liège.
Du yoga avant de monter en scène
”Il y a un schéma, des étapes définies, mais dans cette structure les interprètes improvisent. Les artistes gèrent. Nous n’avons pas de répétitions comme d’autres spectacles, mais des habitudes de préparation: s’étirer, se connecter pour mieux communiquer sur le plateau. Et aussi, tout le monde fait du yoga avant de monter sur scène.”
Si le spectacle puise sa source dans la méditation, qu’apporte-t-il de plus que celle-ci? “Tous les mouvements qu’il contient sont, pour moi, une sorte de méditation en soi.” Et forment une manière de poème scénique hybride, aussi fascinant qu’il peut sembler déroutant. “Plus on s’efforce de comprendre, plus on s’y perd”, concède Yosup Bae.
“Ce que j’aimerais dire au public, c’est de ne pas essayer à tout prix de capter le sens, mais plutôt d’expérimenter, de ressentir.”
- Liège, Théâtre (salle de l’Œil vert), jusqu’au 17 décembre. Infos, rés.: 04.342.00.00 – www.theatredeliege.be