Festival de Liège: créations, réflexions, fêtes et farandoles
Le covid avait bousculé le calendrier du Festival de Liège. Il retrouve son statut de biennale chaque année impaire, avec une édition foisonnante comme toujours, et plus curieuse que jamais. Nous la parcourons avec son directeur et programmateur Jean-Louis Colinet.
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Publié le 26-01-2023 à 12h52
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Au moment de notre entretien, Jean-Louis Colinet se trouve à Santiago, au Chili, où il accompagne Pueblo d’Ascanio Celestini, que David Murgia jouait là-bas, en espagnol, rencontrant un franc succès et, à la clef, quelques propositions solides. Et Marche Salope, de Céline Chariot. Une création estampillée Festival de Liège en 2022, et de retour cette année sur la scène du Manège, flanquée désormais du Prix Maeterlinck de la critique de la meilleure scénographie. Deux pièces emblématiques de l’esprit de l’événement, vaillamment réaffirmé : un festival qui interroge le présent.
L’épisode covid ayant poussé le Festival de Liège à ajourner son édition de 2021 et à la décaler quasiment intégralement à 2022, il s’est agi à présent de rétablir le calendrier originel. Voici donc relancé le cycle biennal, chaque année impaire. Tout en demeurant fidèle à sa philosophie : “Le festival reste un espace de découverte lié à des points de vue poétiques et politiques qui viennent d’artistes de partout dans le monde”, résume Jean-Louis Colinet.
Car le Festival de Liège, s’il soutient les artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles – et n’hésite jamais à zoomer sur leurs homologues flamands, comme cette fois avec Vaderlandloos, de Junior Mthombeni, Fikry El Azzouzi et Cesar Janssens – s’affirme comme un important rendez-vous des scènes internationales.
Transversalités
Le festival, ce sont non seulement les trois semaines d’hiver où foisonnent les propositions artistiques, mais, à l’année, un travail énorme, souligne Jean-Louis Colinet, “avec l’accueil d’autres festivals, comme Voix de femmes, des compagnies en résidence ou en présentation, le soutien et l’accueil d’activités d’associations telles que le Centre culturel arabe ou Debout les mots”.
C’est que la diversité – inscrite dans les gènes et la programmation du Festival de Liège – rime avec l’accessibilité dont la structure fait son cheval de bataille. Celle-ci passe par une nouveauté : une collaboration lancée avec les quatre centres culturels liégeois (les Chiroux, le Centre culturel de Chênée, d’Ourthe et Meuse et de Jupille-Wandre). “Un travail de longue haleine, à la fois de co-accueil ou de coprésentation – comme c’est le cas pour Flesh de la Cie Still Life –, mais aussi d’initiatives plus transversales, liées aux compagnies en résidences, en lien avec Factory [émanation du Festival de Liège focalisée sur la jeune création, NdlR], voire de participation citoyenne dans les quartiers.” Pour notre interlocuteur, l’accessibilité est le mot-clef.
De porosité en curiosité
”Le Manège est une infrastructure équipée qui a un aspect très abordable pour le public, même s’il est pour partie peu habitué aux lieux de culture.” Une porosité qui favorise le lien avec la population associative et locale, autant qu’avec le monde artistique. “C’est une part méconnue mais extrêmement importante de son action, y compris en termes de moyens, d’énergie mise en œuvre.” On ne parle pas seulement ici de prêt d’espace mais aussi, “selon les besoins, de mise à disposition de matériel, de personnel technique, parfois d’aide à la production”.
Jean-Louis Colinet pointe l’utilité et la richesse de cet accompagnement, “en rapport direct avec la biennale”, puisqu’il fait germer, en dehors du festival, une curiosité pour celui-ci, et cultive le lien. Un effet secondaire vertueux : le public croît ainsi en nombre. Pour le festival comme pour le reste des activités de cette Maison des arts vivants, ainsi que la structure s’est nommée dans son dossier de renouvellement de contrat-programme.
40 000 personnes, toutes activités confondues, foulent le sol du Manège chaque année
Une semblable fidélité attache le Festival de Liège aux artistes qu’il suit depuis parfois plus de 20 ans. Ainsi retrouvera-t-on à l’affiche de cette 11e édition Joël Pommerat (Amours [2]), Fabrice Murgia (Dies Blanc, coproduction espagnole, spectacle inspiré d’un roman graphique) ou encore la chorégraphe chinoise Wen Hui, présente à la toute première édition du festival en 2001, et qui arrive cette fois avec I am 60, pièce qui “parle de sa vie, des luttes féminines et féministes dans la Chine des 60 dernières années”.

Fidélité encore avec le danseur, performeur et chorégraphe camerounais Zora Snake, qui ouvre le festival avec Shadow Survivors et L’Opéra du Villageois.
Puis il y a les noms moins connus mais non moins importants, que le programmateur et son équipe soumettent à la curiosité du public : la performeuse brésilienne Janaina Leite, les troupes italiennes Sotterraneo ou du Teatro Del Carretto, le Grec Pantelis Dentakis… Avec en filigrane, et comme adjuvant à cette curiosité, une politique de tarifs “les plus bas possibles” : l’aventure et le risque accessibles, une fois encore. Ce que Jean-Louis Colinet voit comme “un devoir civique”, une manière de répondre à l’appétit du public, pas toujours argenté, sans pour autant brader l’offre. Et le festival s’y retrouve puisque, ce faisant, il remplit ses salles.
Avec les choix d’un programmateur qui, d’abord, prospecte. “Je vois beaucoup de spectacles, c’est vrai. Pour les identifier j’écume les programmations de festivals que je connais dans le monde et dont la sensibilité est équivalente à la nôtre. Comme Santiago A Mil. Ce qui ne m’intéresse pas, c’est ce que j’appelle la playlist. Les artistes très connus, dont l’accueil nécessite des moyens énormes, et qu’on retrouve partout dans les festivals. Mon choix se porte davantage sur la découverte d’expériences plus singulières sur la forme ou le propos, aigu, actuel.” D’où son insistance, encore et toujours, sur un théâtre accessible.
Dire qu'on présente des spectacles qui parlent d'aujourd'hui s'ils ne sont pas accessibles, ça n'a pas de sens!
Artistes d’ici et émergences
Tout international qu’il soit, l’événement tient à mettre en lumière des artistes d’ici. Avec entre autres la création de Tervuren de Céline Beigbeder, sur la restitution des œuvres au Congo, la reprise de Flesh de Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola, le tout nouveau Pouvoir d’Une Tribu Collectif, l’ambitieux The ManX Cat Project d’Écarlate la Compagnie sur les figures féministes méconnues… Et aussi trois œuvres en cours de gestation, signées respectivement Magrit Coulon et Bogdan Kikena (Toutes les villes détruites se ressemblent), Claudia Bruno (Marceline) et Lisa Cogniaux (Peut-on encore mourir d’amour ?) – dans une déclinaison “focus hiver” de Factory.
À ce programme roboratif viennent encore s’ajouter une journée d’étude sur la Présence des femmes dans le secteur des arts de la scène en Fédération Wallonie-Bruxelles (mise au point par Écarlate la Cie, La Deuxième Scène, La Chaufferie acte 1, Voix De Femmes et le Festival de Liège), ainsi qu’une série d’afters, soirées et autres fêtes endiablées qui enfiévreront le Manège au fil des trois prochaines semaines.
- Festival de Liège, du 27 janvier au 18 février. Infos, programme complet, rés.: 0497.606.402 – www.festivaldeliege.be