Ces monstres tellement plus beaux que nous
”Beaux Jeunes Monstres”, une épatante création radiophonique du collectif Wow ! qui rend visibles les invisibles. Voyage sonore épique et intime, casque vissé aux oreilles.
Publié le 30-01-2023 à 17h26 - Mis à jour le 13-02-2023 à 18h58
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Il aurait suffi de quelques secondes, d’un cordon qui ne s’enroule pas au mauvais endroit pour que le destin de William soit différent. Complètement différent. Il arrive encore que des accouchements ne se déroulent pas comme prévu et que le destin d’une famille entière bascule, suite à un accident néonatal.
Selon le diagnostic du médecin, William ne vivra pas longtemps. Quelques mois, s’il reste à l’hôpital. Quelques semaines, s’il rentre à la maison. Son père souhaite qu’il meure à l’hôpital. Sa mère veut le ramener chez elle. Le couple ne survivra pas à l’épreuve. William, bien. Il a aujourd’hui 14 ans, est surnommé Willy et même Wheeling car chacun, dans l’institution qu’il fréquente, est doté d’un surnom.
”Je suis assis toute la journée. Il y en a qui disent que je suis extra-ordinaire, la plupart dit handicapé. On me donne à boire et à manger. Je ne sais pas parler mais je peux faire des bruits. La naissance ne s’est pas passée comme prévu et c’est là que j’ai commencé à faire le monstre.”
”Monstre” qui vient du latin monstrare : montrer, ce que l’on montre du doigt mais aussi qui se montre, symbole de la puissance divine de la Création, capable de mettre du désordre dans l’ordre…
Monstres également comme dans Beaux Jeunes Monstres, l’épatante création radiophonique du collectif Wow !, cette horde d’artistes qui propose, sur le plateau transformé en studio d’enregistrement feutré, dans une mise en scène de Florent Barat et Emilie Praneuf, avec le collectif, un voyage sonore, épique, mais aussi intime, ponctué de chants italiens païens et polyphoniques, musiques, bruitages et ambiances à l’appui.
A la maison, la vie n’est pas drôle tous les jours. Le père de Willy s’en va. Le beau-père ne supporte pas tout. Willy, atteint d’une infirmité motrice cérébrale, se retrouve dans un internat pour handicapés, Les petites fleurs. “Je ne sais pas qui a composé le bouquet mais il n’avait pas les yeux en face des trous” ironise-t-il.
En attendant, les élèves forment une sacrée petite bande et décident, lorsque Willy revient le visage tuméfié, après avoir été frappé par son beau-père, de devenir visibles.
Relever la tête
Pour ce faire, rien de tel qu’une bonne révolution sur le pas de l’église, le visage masqué à la manière des zapatistes, une prise d’otages et un reportage dans une parodie de direct au journal télévisé. Il aura fallu ce coup de force pour que les personnes handicapées ne soient plus invisibles et pour que la mère de Willy, courbée sous le poids de la culpabilité, relève enfin la tête.
Willy, qui identifie son combat à celui de Mohammed Ali, est incarné par la toujours tonique et touchante Deborah Rouach dans la nouvelle fiction radiophonique live du Collectif Wow ! qui nous avait déjà emportés avec son Piletta Remix, mais qui augmente encore les décibels d’un cran.
Auteur de la création radiophonique Beaux Jeunes Monstres, Florent Barat sait de quoi il parle. Il a travaillé pendant douze ans comme éducateur spécialisé. L’une des grandes qualités de cette réalisation réside aussi dans l’audace de l’humour et l’authenticité du ressenti des personnes handicapées qui voient ces regards détournés, qui entendent ce ton infantilisant avec lequel on leur parle, qui souffrent en silence, mais qui rient parfois sous cape.
Rupture de vie
Un jour, suite à une rupture amoureuse, Florent Barat décide de tout quitter, de partir seul dans les montagnes, de s’ennuyer et de voir ce qui en sortira. Jusqu’à ce que surgisse la phrase suivante : “Je m’appelle Willy. D’où Wheeling.”
Il n’aura plus qu’à tirer le fil. Wheeling comme les gamins qui font des cabrages sur leurs mobylettes, leur scooter. “Il y a beaucoup d’autodérision chez les handicapés, un peu de cynisme même” nous dit-il.
Mais aussi de la poésie. Voilà pourquoi son héros se réapproprie les mots de Mohammed Ali. “I’m Gonna Float like a butterfly and sting Like a bee”.
Il y aura d’abord la création radiophonique, en 2016, qui a connu un incroyable succès et a remporté le Grand Chelem des prix, dont le Prix de la meilleure série fiction- Prix Europa décerné à Berlin. Vient, ensuite, après cette belle vie sur les ondes, l’adaptation théâtrale, créée à Mars-Mons arts de la scène en ce mois de janvier, avant une tournée, de Namur à Bruxelles, en séances tout public et scolaires.
”Au départ, on écrit pour les adultes et si Piletta Remix a connu une grosse tournée en scolaire – plus de 450 représentations – c’est un peu par accident. Cette fois, quand les producteurs ont pensé aux ados, je me suis dit tout à coup, tant mieux. Car autant porter ce message, qui vise à une amélioration d’une vie en commun, qui défend la solidarité et prône l’acceptation des différences, auprès des jeunes que des vieux bourgeois qui viennent au théâtre et applaudissent trois fois. Qui va changer le monde de demain ? Pas ma mère. Alors, on s’est dit OK. Jouons aussi pour les ados. De toute façon, on n’écrit pas différemment pour les adultes que pour les jeunes ou les enfants”.
Immersion sonore
En route pour une immersion sonore, casque sur les oreilles, et pour une aventure radiophonique sans filet où tous les bruitages, et l’accompagnement piano, se font en live sur le plateau, avec une dextérité à couper le souffle et une impression d’artisanat désirée. Ça mixe et pianote à toute berzingue, ça débranche et rebranche les câbles pendant que, dans son short et sa veste à paillettes rouges, Deborah Rouach nous raconte l’histoire, sans oublier d’y mêler un brin de suspense, ni surtout d’envoyer enfin ces chers invisibles sous les feux de la rampe.
Namur, au Théâtre royal, du 8 au 11 février. Infos : tccnamur.be ou 32 (0) 81 25 61 63
Varia, du 14 au 18 février, en matinée et en soirée. Infos : varia.be ou 32 (0) 2 640 35 50
Dès 13 ans.