Habib Ben Tanfous : “L’identité, ce n’est pas un diplôme. Ça se construit”
Danseur, chorégraphe et comédien, ce Bruxellois d’origine tunisienne part en quête de son identité à travers, entre autres, son héritage familial dans “Ici je lègue ce qui ne m’appartient pas”. Un solo à découvrir à l’Atelier 210 du 3 au 11 février.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/773f294d-56c4-4d07-acee-8ef7063dead9.png)
Publié le 31-01-2023 à 10h34 - Mis à jour le 31-01-2023 à 10h53
:focal(1019x688:1029x678)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/PKWQD47DJ5HZDMCEYVQZZSBLCA.jpg)
Né en banlieue parisienne en 1992 de parents tunisiens, Habib Ben Tanfous a grandi et vit à Bruxelles. Habib, c’est aussi le prénom de son arrière-grand-père, né, quatre-vingts ans plus tôt, en 1912, loin des cités européennes bétonnées, sur l’île de Djerba. “Toute une partie de ma famille connaît ou a connu deux Habib Ben Tanfous, relève-t-il. Mon arrière-grand-père, que je n’ai pas connu, était l’aîné de sa fratrie tout comme son fils (mon grand-père) et mon père. Donc, il y avait, pour mon père, un devoir de transmission et d’héritage de m’appeler comme son grand-père, car je suis aussi l’aîné d’une fratrie de trois garçons”. Un même prénom qui, tel un fil invisible, relie, dans une même famille, deux destins différents sur deux continents distincts.
”Qui suis-je vraiment ?”
Ses racines tunisiennes, Habib Ben Tanfous les porte en lui, dans ses nom et prénom, son cœur, son esprit…, mais aussi sa peau café au lait, ses cheveux foncés aux boucles serrées… “Étant une personne dite racisée, non-blanche, dans une société européenne, j’ai toujours été confronté à une sorte d’injonction de me définir, raconte le jeune danseur, chorégraphe et comédien, ou d’expliquer d’où je venais, qui j’étais, etc. Et, souvent, mes réponses ne suffisaient pas. J’avais l’impression que, peu importe ce que j’allais dire, la personne qui me posait la question avait son petit catalogue de références plus ou moins rempli et, en fonction de mes réponses, elle ou lui se faisait sa réponse. Donc, cette question est tout le temps là : quel est ce 'je' ?, qui suis-je vraiment ?”
Étant une personne dite racisée, non-blanche, dans une société européenne, j’ai toujours été confronté à une sorte d’injonction de me définir."
Il poursuit : “À un moment donné, de par mon métier et par l’art, je me suis dit que, cette question, j’avais envie d’y répondre par moi-même et pour moi-même. Je voulais une réponse qui me satisfasse, c’est-à-dire qui soit en mouvement, ne soit pas arrêtée. Une identité, ce n’est pas un diplôme. Ça se construit”. Mû par cette quête de soi, Habib Ben Tanfous s’est ainsi immergé dans un long travail de réflexion, recherche et création avant d’aboutir au spectacle Ici je lègue ce qui ne m’appartient pas, à voir dès ce 3 février à l’Atelier 210.
La danse, premier médium
Danseur avant tout, Habib Ben Tanfous a creusé ces questions par le prisme de son corps. “Je me suis interrogé sur comment mon héritage familial a façonné mon corps, explique-t-il, mais aussi comment l’héritage colonial ou des choses qu’on nous a attribuées à la naissance, telles qu’un prénom, marquent notre corps”.

”La danse, reprend-il, est le premier médium par lequel tout est arrivé. J’ai pris mon premier cours de danse à l’âge de 11 ans. Puis, j’ai arrêté pour faire du football. Mais, quand j’ai eu 15 ans, la danse est revenue dans ma vie et, depuis, je n’ai jamais arrêté”. À 22 ans, il intègre le Conservatoire royal de Bruxelles en section interprétation dramatique, “mais quand j’avais des textes à apprendre ou que mes professeurs me donnaient des indications de jeu, si je n’arrivais pas à les traduire à travers le corps, rien se passait”, se souvient-il. “Mon rapport au théâtre a été très fort influencé par le corps, c’est-à-dire que c’était très compliqué pour moi d’être sur scène si mon corps n’était pas dans la parole aussi.” Son univers artistique navigue donc toujours entre deux eaux : la danse et le théâtre. “Ce qui m’émeut, même en tant que spectateur, c’est la fragilité des corps, plus que la performance. Aussi bien en danse qu’au théâtre”, précise-t-il.
Quant à son envie d’explorer les champs de son identité, “tout a commencé quand j’ai commencé à danser à 15 ans”, analyse-t-il. “Je viens de la culture hip-hop, qui est née de revendications et d’une volonté de se définir. À cet âge-là, j’étais très jeune pour le conscientiser, mais c’est sûr que cette culture est entrée dans ma vie sans sortie de secours. Après, elle a dû communiquer avec une autre envie, qui était de faire du théâtre, d’utiliser les mots. En grandissant et en faisant ce métier, j’ai eu envie de prendre cette parole-là et tout a convergé vers ce solo”.
”Un spectacle qui s’écoute”
Ce solo tout en corps et en texte, Habib Ben Tanfous l’a néanmoins aussi imaginé comme “un spectacle qui s’écoute”. “J’avais envie de donner une sorte de voix à mon corps, mais qui ne soient pas des mots. Je voulais que, si, à un moment donné, on ferme les yeux, on puisse continuer à imaginer les mouvements parce qu’on entend le corps bouger, notamment par la respiration.” Puis, au fil du travail, Habib et le créateur sonore Théo Rota ont créé, ensemble, une véritable partition musicale. “Le corps et la musique se répondent très fort”, se félicite le danseur et comédien.
Des albums de famille
Dans la famille d’Habib, on transmet les prénoms mais aussi les albums photos. “On regarde plein de photos en famille. On aime se remémorer, ou se rappeler. J’ai toujours été très intéressé de parcourir ces albums, raconte-t-il. Mes parents le savent et ils n’hésitent pas à me parler de leur passé – ils sont les premiers à être arrivés en France puis en Belgique –, à se souvenir de leur jeunesse. Donc, quand j’ai commencé à créer ce spectacle, j’avais déjà plein de matière dans la tête. Puis, j’ai demandé des photos en plus, j’ai été posé des questions à ma tante, qui adore bavarder”. La scénographie et les lumières (réalisées par Aurore Leduc) de Ici je lègue ce qui ne m’appartient pas ont ainsi été imaginées en lien étroit avec ces vieilles photos de famille.
Toutes les parts de mon identité, j’ai envie de les décrire au travers de la micro-société de ma famille.”
Fort de cette création, Habib Ben Tanfous réalise que “toutes les parts de mon identité, j’avais envie de les décrire au travers de la micro-société de ma famille”, confie-t-il. “À l’échelle globale, il faudrait que tout le monde se ressemble, mais, ce rapport à l’identité, je voulais le questionner à une échelle beaucoup plus petite. En Belgique, nous sommes 11 millions, mais nous ne sommes pas 11 millions les mêmes. Et heureusement ! Cette envie très forte d’appartenance a des avantages et des inconvénients. Mais, avec ses amis, sa famille, on partage une culture générale de la Belgique qui est autre. Ça me rassure de ne pas me définir qu’à l’échelle globale du monde.”
-- > Bruxelles, Atelier 210, du 3 au 11 février. Infos et rés. au 02.732.25.98 ou sur www.atelier210.be