“Tervuren”: peut-on décoloniser un musée ethnographique?
D’un sujet sensible, Céline Beigbeder fait, avec Fatou Hane, la matière d’un kaléidoscope théâtral. Création au Festival de Liège.
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Publié le 31-01-2023 à 20h24 - Mis à jour le 01-02-2023 à 12h36
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Un long tapis blanc courant du sol à la paroi du fond enchâsse la “boîte blanche” du musée dans la “boîte noire” du théâtre. Au bord de l’espace scénique gisent une série de bustes de Léopold II, maculés de rouge. Comme un prélude à la question autour de laquelle tourne depuis longtemps l’actrice et metteuse en scène Céline Beigbeder.
Sa comparse Fatou Hane se présente en premier, ouvrant le spectacle par une brève mise en contexte – ce titre, Tervuren, fait bien entendu référence au Musée royal d’Afrique centrale, renommé Africa Museum – doublée d’une confidence : “Je suis heureuse de faire partie du spectacle, sauf que je n’aime pas les musées, et celui-là en particulier. Quand j’ai fini par le visiter, j’avais l’impression de danser sur nos morts”, lance la comédienne sénégalaise. “Je suis là pour boxer la situation.”
Appuyer sur les points sensibles
C’est que le sujet, forcément, remue. Et qu’en tirer un fil dramaturgique n’est pas chose aisée. Abondamment documenté, Tervuren ne se revendique pas pour autant documentaire. Il s’aventure sur les chemins de la fiction, s’offre des détours vers l’intime, empoigne les outils du théâtre d’objets, voire de la vidéo, ose même la comédie.

Autant de fragments d’une composition kaléidoscopique pensée pour secouer tant nos doutes que nos certitudes. Au risque de l’inconfort – c’est le prix des questions imbibées d’histoire et d’injustice – et avec des audaces formelles pour appuyer, de façon tantôt sérieuse tantôt effrontément ludique, sur les points sensibles du passé colonial belge.
Vous, les objets d'Asie et d'Océanie, revenez dans vingt ans...
On fait ainsi la connaissance de Suzanne, la soixantaine bien mise, habituée du Musée où elle vient honorer la mémoire de son aïeul militaire “amoureux de l’Afrique”, et échangeant quelques mots avec une employée des lieux. On découvre l’activité d’un artisan dont les antiquaires du Sablon revendent très cher les créations, et pour qui “c’est dangereux d’exposer ces œuvres dans un musée, car elles ont des pouvoirs”. On entend le plaidoyer d’Amadou-Mahtar M’Bow, directeur général de l’Unesco, à Paris en 1978, “Pour le retour à ceux qui l’ont créé d’un patrimoine culturel irremplaçable”. On assiste au défilé des statuettes de tous les continents au “Bureau des objets spoliés”…
Impossible, en moins d’une heure et quart, d’approfondir chaque aspect de ce si vaste sujet, que le duo en scène (assisté de Julie Nathan pour la mise en scène et de Capucine Berthon pour la dramaturgie) traite cependant avec ferveur, humilité, intensité.
- Le Festival de Liège est en cours jusqu’au 18 février. Infos: www.festivaldeliege.be
- Tervuren, à l’Espace Magh, Bruxelles, du 8 au 11 février. Infos & rés.: 02.274.05.10 – www.espacemagh.be