Rone électrise (La)Horde, de l’effondrement à l’événement
“Room with a view” a entamé sa tournée belge dans un National plein à craquer et un torrent d’enthousiasme.
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Publié le 02-02-2023 à 17h34
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C’est l’événement de l’hiver sur nos scènes. La foule qui se pressait aux portes du Théâtre national, mercredi soir, en témoigne : une première date archi-comble, et plus un siège libre pour les neuf qui suivent, de Bruxelles à Anvers, de Louvain-la-Neuve à La Louvière.
Alors que la plupart des théâtres, depuis le covid, constatent une tendance générale à la réservation tardive, l’annonce de la venue de Room with a view a eu l’effet inverse. Il faut dire que, lorsqu’un compositeur-DJ star tel que Rone rencontre un impressionnant corps de ballet piloté par un collectif audacieux, tout vibre fort et loin. A fortiori quand d’importantes structures (TN, la Monnaie et Charleroi Danse, en connivence avec le Vilar, Central et deSingel) s’allient pour faire venir et tourner cet imposant objet.
C’est au Châtelet, à Paris, que tout a commencé, pour s’arrêter net, nous rappelle Jonathan Debrouwer, membre du trio (La)Horde qui depuis 2019 dirige le Ballet national de Marseille. Le spectacle voit le jour en mars 2020. Le jour… et pour quelques jours seulement, avant que tombe le couperet: confinement, mise à l’arrêt. La reprise maintenant n’en est que plus flamboyante.
”J’aime les œuvres dures qui plongent dans les bas-fonds, mais qui finissent à un moment ou l’autre par vous encourager”, explique le célébrissime producteur musical Rone qui cosigne cette création. Un résumé idoine, tant la pièce nous emmène de l’obscurité – un début façon clubbing qui pourrait aussi bien être l’usine ou un wagon à bestiaux, des scènes de grande violence, dont certaines “pourraient heurter la sensibilité des spectateur·ices”, avertit le National – vers des velléités d’envol, de cohésion, aux rives de la fête.
Éboulis de pierre, rafales de son
Dans une scénographie de pierre et de poussière, évoquant à la fois l’intervention humaine, la construction, et la déréliction, la ruine, une vingtaine de danseurs et danseuses, de gabarits et de générations diverses, évolue en paires ou en grappes, se fraie de brusques passages parmi les autres, évite de justesse des éboulis, trouve sa place dans les rafales et nappes de son balancées en direct du plateau par Rone.
Comme souvent dans les propositions de (La)Horde, la construction dramaturgique ose les torsions temporelles, les suspensions, voire les baisses de régime – dans cependant débrancher l’énergie de l’instant – pour aller vers une intensité qui finit par tout emporter. Y compris l’adhésion du public.

Room with a view ne fait pas exception. L’effondrement, sujet de base de la pièce, se trouve ainsi peu à peu contrecarré par l’infatigable virtuosité des interprètes – de portés en appuis, de lancers en plongeons, jusqu’aux ensembles et rondes étourdissantes. Le tout inscrit dans un sens de la composition visuelle qui tient autant du graphisme contemporain que de la statuaire baroque.
Les duos-duels du début ont laissé place au chœur, pas forcément plus tendre, certainement plus humain. À l’instar des voix qui s’élèvent pour épouser puis surpasser les volutes électro.
- Room with a view, au Théâtre national, Bruxelles, jusqu’au 4 février. Ensuite à l’Aula Magna de Louvain-la-Neuve du 8 au 10; au Théâtre de La Louvière le 14; et à Anvers, deSingel, les 18 et 19 février. Toutes les représentations affichent complet.
(La)Horde, collectif de petits chimistes
“C’est une matière vivante. On grandit en même temps que nos pièces, qui évoluent selon un rythme organique : un geste, une action doit être faite et refaite pour trouver l’exacte nécessité du changement”, nous confiait (La)Horde en 2019.
Fraîchement nommé alors à la direction du Ballet national de Marseille, le collectif venait de créer Marry me in Bassiani, œuvre de croisements, nourrie de recherches diverses, de mouvement contemporain, de traditions chorégraphiques et de contestation sociale observées en Géorgie. “On n’est pas du genre à laisser le spectacle se faire sans jouer aux petits chimistes.”
L’expérimentation figure depuis ses débuts, en 2011, au menu du trio composé de Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel, au confluent du mouvement et de l’image (danse, film, performance).
Nous avions rencontré une première fois le jeune collectif en 2017, peu avant la création au FTA de To Da Bone, basé sur le jumpstyle, et qui allait faire peu après l’ouverture de la Biennale de Charleroi Danse.
Une pièce événement, déjà, qui eut pour effet de placer (La)Horde sur la carte des compagnies avec lesquelles compter, sans que le trio cède au fonctionnement conventionnel, lui qui revendique les relations “hétérarchiques”. Et des processus de création pluriels, résolument transversaux. De quoi éclairer cette “Chambre avec vue” que le public belge découvre à présent.