Souffler l’esprit de la révolution
“Pour Nous, l’Oubli” ou une magistrale traversée de l’histoire des femmes, actrices des révolutions. À la Comédie Royale Claude Volter, Les Souffleuses de Chaos… nous soufflent.
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Publié le 02-02-2023 à 17h46 - Mis à jour le 03-02-2023 à 11h35
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"On savait que le propos allait déranger. On a discuté, avec les comédiennes sur la manière de mener ce spectacle ; on a décidé de certains codes, et jusqu’où on allait, en cas de possibles interruptions sur scène. Cela n’a pas eu lieu pour l’instant”.
Pour Nous, l’Oubli, de Marion Pillé, avec Noémi Knecht, Florelle Naneix et Tiphaine van der Haegen, et qui joue jusqu’au 12 février à la Comédie Volter, est brillant mais frontal. Comme à chaque fois que l’on souligne que les femmes ont été invisibilisées par les écrits historiques, des esprits se fâchent, peu décidés à entendre que le système de privilèges a longtemps été en faveur des hommes.
Et pourtant, vu le nombre d’archives, de textes, de témoignages cités, on ne peut pas dire que Les Souffleuses de Chaos aient pris le sujet à la légère – le travail de compilation des écrits est énorme. Marion Pillé, metteuse en scène, raconte la genèse du projet : “En 2019, nous avions monté une pièce, Le Verfügbar aux Enfers, sur la base d’un texte de Germaine Tillion, soit le récit satyrique des quatre protagonistes de Ravensbrück, camp de concentration réservé aux femmes. On nous avait alors reproché de n’avoir mis que des femmes sur scène. Les hommes n’allaient pas pouvoir s’identifier…”. Un commentaire que la metteuse en scène et les comédiennes n’avaient pas vu venir… Elles se penchent donc sur l’idée de faire valoir les personnalités féminines qui ont nourri l’Histoire.
Une galerie de portraits encore méconnus
Et leur choix se porte sur Louise Michel (1830-1905), figure de la Commune de Paris ; Alexandra Kollontaï (1872-1952), protagoniste de la Révolution de février 1917 en Russie, et Dolores Ibárruri (1895-1989), au cœur de la guerre d’Espagne, en 1936. Ensuite, la ronde des femmes ne fait que s’agrandir quand on se penche sur les esprits qui font les révolutions sociales. Une vraie “armée”, comme le titre d’un poème de Louise Michel…

Le mode de théâtralité est double, de l’objet conférence, durant lequel on dépouille les mots, – “Je suis exploitée par le système”-, jusqu’aux saynètes qui miment barricades, sang des civils, et fusillades. Les combats se jouent dans des théâtres d’ombres. Des origamis de peuple furieux se déploient, main dans la main. On assiste au dialogue entre “Salariat”, repu de sa personne, et son épouse “Prolétariat” qui trime, jusqu’à ce que “Révolution” (Noémi Knecht) s’invite à dîner. La comédienne suisse a ce regard qui roule, et qui nous dit qu’elle est bien là pour fiche le feu à la baraque, quand la vie est devenue trop médiocre pour être vécue. Il y a, enfin, de l’humour pince-sans-rire, dans ce mime de notre société entrepreneuriale, incarnée par Florelle Naneix. Juchée sur l’escabeau de la condescendance politicarde, la comédienne, fabuleuse, renvoie aux dysfonctionnements actuels. Ce serait bête de croire que le problème dont on nous parle, c’était juste hier.
-- > *** “Pour Nous, l’Oubli”, à la Comédie royale Claude Volter, à Bruxelles, jusqu’au 12 février (1h30). Infos : www.comedievolter.be